Elections législatives aux Pays-Bas 15 mai 2002

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

-

15 mai 2002
null

Versions disponibles :

FR

Deloy Corinne

Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Démission surprise du gouvernement à la veille des élections législatives

Coup de théâtre aux Pays-Bas où le gouvernement de Wim Kok a démissionné le 16 avril dernier à la suite de la publication du rapport officiel de l'Institut néerlandais de documentation sur la guerre critiquant la politique de La Haye lors de la chute de l'enclave de Srebrenica en juillet 1995. Après cinq années de travail, la conclusion du document est sans appel : « Les considérations humanitaires et les ambitions politiques ont poussé les Pays-Bas à se lancer dans une mission de paix irréfléchie et pratiquement irréalisable ». Admettant « la co-responsabilité politique des Pays-Bas pour la situation dans laquelle les massacres ont pu se produire », le Premier ministre Wim Kok a donc présenté la démission de son gouvernement après avoir déclaré devant le Parlement que « Les conclusions graves de ce rapport ne pouvaient pas rester sans conséquence politique ». Le Premier ministre a toutefois tenu à souligner que son pays n'était pas coupable « de la mort terrible de milliers de Musulmans de Bosnie. Les coupables sont les Serbes de Bosnie et en particulier le général Mladic ».

Cependant si la démission du gouvernement est un geste symbolique fort, ses conséquences restent limitées, les élections législatives étant prévues de longue date pour le 15 mai prochain. Aux yeux de beaucoup d'analystes politiques, cette démission permet surtout d'éviter que les partis d'opposition ne s'emparent de ce sujet délicat durant la campagne. Officiellement, le gouvernement démissionnaire conserve les mêmes compétences qu'un gouvernement en exercice ; dans la pratique toutefois, il traite les affaires courantes en évitant les « sujets conflictuels ». Notons que cette démission est la deuxième du gouvernement Kok. Le 19 mai 1999, la coalition au pouvoir était tombée, victime de ses divisions à propos d'un projet de loi sur un « référendum correctif » donnant au peuple une sorte de droit de veto sur certaines décisions du législateur. Tjeek Willink, vice-président du Conseil d'Etat et la reine Beatrix Ière, qui possède un réel pouvoir politique, avaient alors proposé de fractionner l'introduction du référendum sur les quatre années à venir. Une décision acceptée par les différents membres de la coalition gouvernementale qui avait permis à son chef Wim Kok de se représenter le 7 juin devant le Parlement avec un gouvernement réformé. La démission de Wim Kok à l'issue du rapport sur le massacre de Srebrenica, suivie de celle d'Ad van Baal, actuel commandant en chef de l'armée de terre, numéro deux à l'époque des faits, a été unanimement saluée par les formations politiques du pays qui se sont accordées sur l'instauration, après les élections législatives du 15 mai, d'une véritable commission d'enquête parlementaire qui aura pour tâche d'interroger sous serment l'ensemble des responsables politiques et militaires.

Le système politique néerlandais

Le 15 mai prochain, les électeurs néerlandais sont donc appelés à élire les cent cinquante membres de la deuxième chambre (Tweede Kamer) de leur Parlement. La première chambre (Eerste Kamer), appelée Sénat, comprend soixante-quinze membres, élus pour quatre ans au suffrage indirect par les membres des douze Etats provinciaux du royaume. La deuxième chambre, appelée Chambre des Etats généraux, est élue à la proportionnelle intégrale, mode de scrutin favorisant l'existence et la représentation d'un grand nombre de formations politiques. Trois d'entre elles dominent la vie politique néerlandaise : le Parti du travail (PvdA), le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VDD) et l'Appel chrétien démocrate (CDA).

Lors des dernières élections de 1998, neuf partis ont obtenu suffisamment de voix pour être représentés à la Chambre.

Trois partis membres de la majorité gouvernementale :

- Le Parti du travail (PvdA) a été fondé en 1946. Issu du mouvement syndical, il regroupe les sociaux démocrates.

- Le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) est une formation libérale, créée en 1948 et se réclamant de Thorbecke, le père de la révision constitutionnelle des Pays-Bas en 1848.

- Le Parti des démocrates 66 (D'66) regroupe les libéraux réformateurs de centre gauche.

Cinq formations de l'opposition :

- L'Appel chrétien-démocrate (CDA) est né dans les années soixante-dix de la fusion de trois partis chrétiens, le KVP (Parti populaire catholique), l'ARP (Parti antirévolutionnaire) et la CHU (Union chrétienne historique), en réaction à la laïcisation de la société néerlandaise. Il se situe au centre droit de l'échiquier politique.

- La Gauche verte (GL) regroupe les écologistes de gauche et a réalisé une forte percée lors des élections européennes de juin 1999, dernier scrutin national, passant de 3,7% à 11,9%.

- Enfin le Parti institutionnel réformé (SGP) d'une part et l'Union chrétienne résultant de la fusion en janvier 2000 de la Fédération politique réformée (RPF) et de l'Alliance politique réformée (GPV) d'autre part se partagent la mouvance protestante orthodoxe (calvinistes de stricte obédience).

La coalition gouvernementale regroupant le PvdA, le VVd et le D'66 dirige les Pays-Bas depuis 1994. Wim Kok, tête de liste du Parti du travail, a donc assumé les fonctions de Premier ministre durant deux législatures après seize ans de règne du Parti chrétien démocrate (CDA). Cet homme de soixante trois ans a annoncé en décembre 2001 qu'il ne briguerait pas de troisième mandat. A cette occasion, il a passé le témoin à la tête du Parti du travail à son successeur Ad Melkert. Dirigeant une « coalition violette » (regroupant des travaillistes, dont la couleur est le rouge, ainsi que des réformateurs et des libéraux, aux couleurs bleues), Wim Kok a incarné ce que les analystes politiques ont baptisé le « modèle du polder », c'est-à-dire une alliance, souvent réussie mais parfois idéalisée, entre libéralisme économique et préoccupations sociales, s'appuyant à la fois sur une approche pragmatique des réalités politiques et sur une constante recherche du consensus. Certaines des mesures adoptées par le gouvernement de Wim Kok - la légalisation de la prostitution, le mariage des homosexuels ou plus récemment la loi légalisant l'euthanasie selon le respect de « critères de minutie » adoptée au terme de trois décennies de discussion - témoignent de cette politique.

Les enjeux du scrutin

Les Pays-Bas peuvent afficher de bons résultats économiques : un taux de croissance de 1,3%, une inflation peu élevée (2,5%), des salaires en rapide augmentation et un taux de chômage de 2,2%, soit très en dessous de la moyenne européenne. Cette dernière performance doit cependant être relativisée en raison du nombre important de personnes (neuf cent mille) déclarées en incapacité de travail à la faveur de la loi sur l'incapacité de travail, disposition sociale qui a trop souvent été utilisée, aux dires des membres de l'opposition, comme une forme cachée de licenciement. Le gouvernement Kok peut également revendiquer une bonne gestion des affaires du pays : la réforme fiscale entrée en vigueur en janvier 2001 devrait à terme se traduire par une augmentation de 5% du revenu disponible des ménages ; par ailleurs, en dépit d'une baisse des impôts, les budgets de la santé, de l'éducation, de la protection de l'environnement et de la sécurité intérieure ont été augmentés de façon significative. Cependant, les indicateurs économiques ont chuté au troisième trimestre 2001 et l'économie, qui reste cependant l'une des plus dynamiques d'Europe, a enregistré son premier recul (- 0,4%) depuis dix ans. Aujourd'hui, les autorités politiques néerlandaises restent optimistes s'attendant bien à quelques difficultés à venir mais affichant dans le même temps leur foi dans la relance à l'horizon de 2003.

Toutefois, si la « coalition violette » a été plébiscitée lors des dernières législatives de 1998 après quatre années à la tête du pays, le jeu s'annonce moins aisé pour les élections du 15 mai prochain. Le 6 mars dernier, douze millions d'électeurs (Néerlandais et étrangers résidant aux Pays-Bas) étaient appelés aux urnes pour élire les membres de 458 conseils municipaux. En raison de la nature même du scrutin, il serait toutefois aléatoire de tirer des résultats des élections municipales néerlandaises des leçons pour le scrutin législatif à venir. Lors des communales, les partis locaux, plus proches des électeurs et mieux positionnés sur les problèmes auxquels ceux-ci sont confrontés, sortent généralement vainqueurs des urnes. Toutefois, les élections de mars pourraient faire exception à la règle, les formations locales ayant en effet décidées de se regrouper au sein d'un parti, le Leefbaar Nederland (les Pays-Bas vivables), pour se présenter unies au scrutin municipal. Un regroupement qui semble avoir porté ses fruits puisque les résultats montrent une forte hausse des partis locaux et consécutivement, une baisse des partis nationaux, principalement de ceux de la majorité gouvernementale. Le Parti du travail perd 2,7% des voix qu'il avait obtenu lors du dernier scrutin municipal, le Parti populaire pour la liberté et la démocratie 2,3% et le Parti des « démocrates 66 » 0,6%. 57,7% des électeurs se sont rendus aux urnes, une participation en légère baisse par rapport aux dernières élections municipales de 1998 (58,9%), Mais le véritable événement de ces élections a été la percée de la liste Leefbaar Rotterdam (Rotterdam vivable) conduite par Pim Fortuyn et qui a conquis 34% des voix dans la deuxième ville du pays, s'imposant comme le premier parti de Rotterdam en remportant dix-sept des quarante-cinq sièges du conseil municipal.

Sociologue de 54 ans, Pim Fortuyn a d'abord milité au Parti du travail d'où il a été exclu pour ses propos sur l'immigration. Il a alors rejoint les Chrétiens démocrates, puis faute d'obtenir l'investiture qu'il désirait, le Leefbaar Nederland en 2001. Le 9 février 2002, soit un mois avant le scrutin municipal, Pim Fortuyn se voit privé de son investiture à cause de ses dérapages verbaux contre les immigrés et les musulmans. Le leader populiste a aussitôt créé son propre mouvement sous les couleurs duquel il s'est présenté aux élections municipales. Son programme est centré sur l'arrêt de l'immigration, « Les Pays-Bas sont plein » constituant la véritable devise de son mouvement. Il propose de supprimer le premier article de la Constitution néerlandaise qui instaure le principe de non discrimination et dit lutter contre une islamisation de la société néerlandaise, dont il glorifie la tolérance en se félicitant du fait de pouvoir lui-même afficher et y vivre son homosexualité sans complexe ni problème. Par ailleurs, il se présente comme un homme neuf et étranger à l'establishment de La Haye, source de tous les maux des Pays-Bas. Selon André Krouwel, politologue à l'université libre d'Amsterdam, « Pim Fortuyn a compris que, malgré les performances économiques néerlandaises, les électeurs sont de plus en plus nombreux à estimer que la classe politique au pouvoir est incapable de régler les problèmes auxquels les citoyens sont confrontés quotidiennement ». La percée du leader populiste ne sera t-elle qu'un feu de paille circonscrit au niveau local ou viendra t-elle troubler le jeu politique au niveau national lors des prochaines législatives? Réponse dans trois semaines puisque Pim Fortuyn conduira sa propre liste, la Lijst Pim Fortuyn, aux élections nationales du 15 mai.

Rappel des résultats des élections législatives du 6 mai 1998:

Participation : 73%

Source Ambassade des Pays-Bas à Paris

Pour aller plus loin

Élections en Europe

 
2013-05-28-16-30-07.6453.jpg

Corinne Deloy

5 mai 2025

Le candidat a changé… mais pas le résultat. L'extrême droite est arrivée largement en tête du 1er tour de l’élection présidentielle le 4 mai...

Élections en Europe

 
2013-05-28-16-28-21.8807.jpg

Corinne Deloy

28 avril 2025

Les Polonais sont appelés aux urnes pour élire le successeur d’Andrzej Duda (Droit et justice, PiS) à la présidence de la République. Ce dernier, qui a effectu...

Élections en Europe

 
2013-05-28-16-28-33.2244.jpg

Corinne Deloy

28 avril 2025

Le 13 mars 2025, le président de la République portugaise, Marcelo Rebelo de Sousa, a annoncé la dissolution de l'Assemblée de la République, chambre unique du parle...

Élections en Europe

 
2013-05-28-16-30-07.6453.jpg

Corinne Deloy

14 avril 2025

Un pays en crise La Roumanie a plongé dans la tourmente après l’annulation par la Cour constitutionnelle, à l’unanimité de ses membres, du deuxième tour...

La Lettre
Schuman

L'actualité européenne de la semaine

Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais

Versions :