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15 mai 2002 : Séisme politique aux Pays-Bas

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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15 mai 2002
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Deloy Corinne

Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Les élections législatives du 15 mai, qui consacrent l'écrasante victoire des chrétiens-démocrates, ont fait l'effet d'un véritable séisme politique aux Pays-Bas. D'une part, l'extrême droite fait son entrée en force au Parlement obtenant vingt-six sièges alors qu'elle n'était jusqu'alors pas représentée à la chambre basse et, d'autre part, la coalition « violette », qui dirigeait le pays depuis huit ans, subit une lourde défaite, les trois partis qui la formaient perdant ensemble quarante-quatre des quatre-vingt dix-sept qu'ils détenaient. La défaite est particulièrement lourde pour le Parti travailliste (PvdA) qui perd, à lui seul, vingt-deux sièges et obtient son plus mauvais score depuis la deuxième guerre mondiale. « Les électeurs nous ont donné une énorme correction » a déclaré le Premier ministre Wim Kok à l'annonce des résultats, « nous sommes véritablement au fond du puits ». Ad Melkert, successeur de Wim Kok à la tête du parti, a immédiatement annoncé sa démission. Première formation politique des Pays-Bas depuis huit ans, le Parti travailliste est désormais le troisième parti du pays à égalité avec le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD). Celui-ci perd quinze sièges et obtient un résultat légèrement moindre que celui dont le créditaient les enquêtes d'opinion (vingt-cinq sièges). Tout au long de la campagne, et pas seulement après la mort de Pim Fortuyn qui a rendu difficile l'appréciation des intentions de vote, les sondages ont également sous-évalué le score de l'Appel chrétien démocrate (CDA), grand vainqueur du scrutin, qui obtient dix sièges de plus que les estimations. En revanche, la liste Pim Fortuyn, dont la création remonte à quelques mois et dont le leader charismatique et seule véritable personnalité politique du mouvement a été assassiné le 6 mai dernier, réalise la percée attendue et devient la deuxième formation politique du pays. Le Parti des démocrates 66 (D'66), membre de la coalition au pouvoir, est également laminé perdant la moitié de ses sièges. Le Parti socialiste est la seule formation de gauche à améliorer son score de 1998, doublant presque le nombre de ses sièges (de cinq à neuf). Le PS est le seul à avoir véritablement fait une campagne clairement marquée à gauche, mettant l'accent sur les services publics qui figurent, selon les sondages, avec l'immigration et la sécurité, au nombre des principales préoccupations des Néerlandais. Ces élections voient aussi l'entrée au Parlement de Leefbaar Nederland, formation jusqu'alors absente des scrutins nationaux et à l'implantation essentiellement locale.

Résultats des élections législatives du 15 mai 2002:

Source Agence France Presse

Comparaison du nombre de sièges obtenus entre les élections du 6 mai 1998 et celles du 15 mai 2002:

Source Agence France Presse

Les résultats officiels de ces élections ne seront rendus publics que le 21 mai. La reine Beatrix désignera alors un « formateur » chargé de rédiger un accord de gouvernement susceptible de fédérer les partis nécessaires à la formation d'une majorité. Le « formateur » est généralement le leader du parti ayant obtenu le plus grand nombre de sièges. Au cas où aucune coalition ne pourrait voir le jour, la reine désignerait alors un « informateur », homme politique ou représentant de la société civile, pour rapprocher les positions des différents partis. C'est donc à Jan Peter Balkenende, 45 ans, chef de l'Appel chrétien démocrate (CDA) et nouvel homme fort de la politique néerlandaise surnommé Harry Potter pour son allure juvénile, que revient maintenant la lourde charge de former la future coalition qui gouvernera le pays. L'hypothèse la plus probable est la mise en place d'une coalition présidée par le CDA et qui rassemblerait la liste Pim Fortuyn (LPF) et le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD). Si J.P. Balkenende n'a jamais exclu de gouverner avec l'extrême droite, qu'il qualifie de droite populiste, le score réalisé par la liste Pim Fortuyn rend, de toute façon, les négociations avec les membres de cette formation inévitables. Le leader chrétien-démocrate a fait campagne pour la responsabilisation des citoyens néerlandais trop habitués, selon lui, aux bienfaits de l'Etat-Providence, pour « le rétablissement des normes et des valeurs » . Il affirme vouloir remettre en question le mariage homosexuel et la consommation des drogues douces et n'a pas hésité à se situer sur le terrain de Pim Fortuyn allant jusqu'à déclarer que la société multiculturelle était « un drame ». Si Jan Peter Balkenende affirme ne pas souhaiter remettre en question la tolérance et l'ouverture sur le monde de la société néerlandaise, il s'est engagé à mettre un frein à l'immigration et à s'attaquer aux abus actuels du système d'asile. Les dirigeants de la Liste Pim Fortuyn ont , quant à eux, annoncé dès mercredi soir qu'ils souhaitaient voir l'application de leur programme, insistant sur trois points : la réforme du système de soins ; la révision des lois sur l'immigration et la mise en place d'une nouvelle politique sécuritaire. Le parti d'extrême-droite revendique trois portefeuilles ministériels, à savoir la Santé, l'Intérieur et l'Intégration. Jan Peter Balkenende ne s'est pas encore prononcé sur ces propositions, se contentant de déclarer que tout « dépendrait des personnes qui prendront la tête du parti ». Signalons qu'un sondage, paru le 16 mai dans le quotidien De Telegraaf, montre que 39% des Néerlandais déclarent souhaiter la participation de la liste Pim Fortuyn au prochain gouvernement alors que 34% y sont opposés.

En dépit de son incroyable score aux élections législatives, la liste Pim Fortuyn, dix jours après la disparition de son leader, n'a pas encore trouvé son nouveau chef de file. Peter Langendam, biologiste, éditeur et cofondateur du mouvement avec Jan Dost et Albert de Booij, nommé président le week-end dernier, a démissionné le 14 mai. De son côté, Joao Varela, numéro deux du parti du vivant Pim Fortuyn, a été écarté, Jan Dost, vice-président, a subi le même sort et Albert de Booij a quitté le parti juste après l'assassinat de son leader, une semaine avant les élections. Finalement, Mat Herben, numéro six sur la Liste, s'est autoproclamé président le 15 mai. Par ailleurs, selon les quotidiens Algemeen Dagblad et Het Parool des 14 et 15 mai, la liste Pim Fortuyn envisagerait l'exclusion de deux de ses membres. Il s'agit de Cor Eberhard (numéro treize) et de Johan Wiersma (numéro trente-neuf), exploitant de sites pornographiques sur Internet. Celui-ci a été mis en cause pour avoir essayé d'acheter un siège à la liste Leefbaar Nederland et déclaré qu'Amsterdam serait en 2015 « une ville musulmane négroïde ». Des propos plus qu'embarrassants pour un parti qui souhaite appartenir à la future coalition gouvernementale. Le parti d'extrême-droite ne compte dans ses rangs qu'une seule personnalité possédant une expérience politique ; il s'agit de Jim Janssen van Ray, numéro trois de la Liste et transfuge du parti chrétien-démocrate. Celui-ci a toutefois affirmé ne plus avoir, à soixante-neuf ans, d'ambition politique. Signalons enfin que les futurs députés de Leefbaar Nederland pourraient prochainement rejoindre la liste Pim Fortuyn qui se déclare prête à les accueillir. Fred Teeven et Tjerk Westerterp attendent de voir comment la situation évolue au sein de la Liste et de connaître le nom du futur leader du groupe parlementaire avant de prendre leur décision.

Les spéculations vont bon train sur la formation de la future coalition gouvernementale et peu nombreux sont les analystes politiques qui estiment viable à long terme une coalition formée par le CDA, le VDD et la liste Pim Fortuyn. Frits Bolkestein, commissaire européen chargé du Marché intérieur, de la Fiscalité et de l'Union douanière et grande figure de la vie politique néerlandaise, a dès mercredi soir déclaré s'attendre à de nouvelles élections d'ici un an en raison de l'instabilité de la liste Pim Fortuyn. En effet, la politique ne se réduit pas à une sensibilité accrue aux problèmes de la société et le parti d'extrême droite va désormais devoir prouver qu'il peut se donner les moyens de résoudre ces problèmes ainsi qu'apprendre, comme le veut la tradition néerlandaise, à composer avec d'autres formations au sein d'une coalition dans laquelle il ne sera pas majoritaire. Memdert Fennema, politologue à l'université d'Amsterdam, compare les élections du 15 mai avec « la signature massive d'un registre de condoléances », rejetant l'idée d'un « véritable moment démocratique ». De son côté, Erik van Bruggen, consultant naguère proche du Parti travailliste, souligne que « dans un pays où on n'élit ni le chef de l'Etat, ni le Premier ministre, ni son maire, Pim représentait paradoxalement une chance pour la démocratie car il pouvait détruire ce système politique fermé qui fonctionne comme une nomenklatura tout juste préoccupée par le partage des postes ». La recherche permanente du compromis a en effet fini par gommer aux yeux de beaucoup de Néerlandais les différences existant entre les partis de gauche et ceux de droite, le système de coalitions n'étant pas en lui-même propice à de grands débats. La classe politique néerlandaise dans son ensemble n'a pas su répondre au phénomène Pim Fortuyn et s'est montrée incapable de lui opposer les valeurs et les traditions démocratiques qui sont les leurs et celles de la société néerlandaise.

« Aujourd'hui, nous décidons de la composition politique des Pays-Bas durant les quatre prochaines années » avait averti le Premier ministre travailliste Wim Kok la veille du scrutin, appelant les Néerlandais à voter « avec leur tête et pas seulement leurs émotions ». Ces derniers mots, comme la campagne menée par les travaillistes, ont été vains. Les Néerlandais ont largement choisi de faire d'une liste emmenée par un mort (la loi électorale interdit aux Pays-Bas de retirer une liste déposée), au programme indéfini et dont les membres ne possèdent aucune expérience politique, la deuxième formation nationale. Cette entrée en force de l'extrême droite à la chambre basse du Parlement constitue une sanction et un avertissement pour l'ensemble de la classe politique. « Quelle curieuse époque si un mort remporte les élections! » notait l'écrivain néerlandais Cees Noteboom dans Le Monde du 15 mai. « Mais les jeux sont faits, rien ne va plus ».

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