Actualité
Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
-

Versions disponibles :
FR
EN
Corinne Deloy

Fondation Robert Schuman
Le 26 mars prochain, quinze mois jour pour jour après l'élection à la Présidence de la République de Viktor Ioutchenko (Notre Ukraine, NU), les Ukrainiens éliront les quatre cent cinquante membres de la Rada (Parlement). Véritable test de popularité pour les héros de la révolution orange, ces élections législatives décideront de l'avenir des réformes engagées par la nouvelle équipe. Un scrutin qui s'annonce difficile pour les partisans de Viktor Ioutchenko. Selon une enquête d'opinion publiée en décembre par le journal Ukrayinska Pravda (www.pravda.com.ua), les trois quarts des Ukrainiens (72%) se déclarent insatisfaits de la situation politique et économique de leur pays, plus de quatre sur dix (42%) considèrent que leur situation matérielle s'est dégradée depuis un an et plus de la moitié estiment que le nouveau pouvoir n'a pas tenu ses promesses (58%). Le pays est divisé entre trois camps : Notre Ukraine, qui rassemble les partisans du Président Viktor Ioutchenko ; Batkyvchina (La Patrie), le Bloc électoral de Ioulia Timochenko, ancienne Premier ministre et égérie de la révolution orange qui se décrit comme martyre de la révolution ; et le Parti des régions, formation pro-russe emmenée par Viktor Ianoukovitch, ancien Premier ministre et rival malheureux de Viktor Ioutchenko lors de l'élection présidentielle de décembre 2004, actuellement en tête des enquêtes d'opinion pré-électorales. La forte dispersion de la classe politique – cent vingt-sept formations politiques immatriculées et donc en mesure de participer aux élections du 26 mars- rend difficile l'obtention d'une majorité électorale. Les formations politiques doivent donc impérativement nouer des alliances les unes avec les autres afin de parvenir à dégager une majorité capable de gouverner.
Le bilan d'une année de révolution orange
Durant ces derniers mois, la popularité de Viktor Ioutchenko a enregistré une forte baisse, passant de 73% d'opinions favorables en avril 2005 à tout juste 50% en octobre dernier. Les difficultés économiques qu'a connues l'Ukraine ces derniers mois ne sont certainement pas étrangères au ternissement de l'image du leader de la révolution orange. En 2005, la croissance du PIB a été moins élevée (de moitié : 6%, contre 12% l'année précédente), le chômage a progressé, touchant 12% de la population active et l'inflation a enregistré une forte hausse (les prix de la viande, du sucre et de l'essence ont fortement augmenté) qui a considérablement réduit la visibilité et les effets des augmentations de salaires et des pensions de retraite accordées par le nouveau pouvoir. Enfin, la réévaluation de la monnaie nationale (la hrivnia) réalisée par le gouvernement de Ioulia Timochenko a lourdement affecté les économies des Ukrainiens essentiellement placées en dollars. Les privatisations et l'ampleur des dépenses sociales engagées pour honorer les promesses de la révolution orange ont quelque peu découragé les investisseurs étrangers. Enfin, l'image du Viktor Ioutchenko a été écornée par le scandale causé par la révélation par la presse du train de vie opulent de son fils aîné Andrij et la tentative de celui-ci de s'approprier commercialement la « marque orange ».
En dépit de ces difficultés, la nouvelle équipe au pouvoir a, durant cette première année de pouvoir, commencé à changer le visage de l'Ukraine, introduisant transparence et démocratie dans la société, privatisant l'industrie, notamment le combinat Krivorijstal (production du métal, minerai de fer, uranium et titane), supprimant la censure dans les médias -deux hebdomadaires et deux quotidiens ont vu le jour ces derniers mois- et mettant en place un véritable programme de lutte contre la corruption (licenciement de dix-huit mille fonctionnaires, opération mains propres menée au sein de différents ministères, du parquet, de la police et des impôts), une tâche qui, de l'aveu même de Viktor Ioutchenko, n'en est qu'à ses débuts tant la corruption est omniprésente dans la société. Si beaucoup reste à faire, l'Ukraine est devenue un pays libre et démocratique.
Outre la dégradation de la situation socio-économique, qui n'est pas entièrement imputable à la nouvelle équipe en place (les anciens dirigeants avaient en effet beaucoup promis avant l'élection présidentielle de 2004), les rivalités et la division au sein du clan orange ont grandement contribué à décevoir les Ukrainiens. Le 3 septembre, Olexander Zintchenko, secrétaire général de la Présidence de la République et ancien directeur de la campagne électorale de Viktor Ioutchenko, a déclenché la première grave crise à la tête de l'Etat en démissionnant de son poste pour, a-t-il déclaré dans une conférence de presse, « dénoncer le blocus de l'information » organisé par certains responsables autour du Président de la République qui ne pensent qu'à « utiliser leurs fonctions pour s'accaparer tout ce qu'ils peuvent ». La démission du secrétaire général a été suivie de celles d'Olexander Tourtchinov, chef des services de sécurité (SBU), de Mykola Tomenko, vice-Premier ministre et d'un autre membre du gouvernement, Mykola Tomenko.
« J'ai pris conscience que certaines personnes volent, d'autres démissionnent. Dans de nombreux cas, le processus surpasse en ampleur ce qui se passait pendant l'ère de Leonid Koutchma, s'étendant dans les structures régionales et centrales. Le phénomène devient systémique. Je ne veux pas porter la responsabilité d'autres personnes qui ont créé un système corrompu » a affirmé Olexander Zintchenko lors de sa conférence de presse convoquée à l'occasion de sa démission, ajoutant « l'Ukraine est dirigée par deux gouvernements concurrents : celui de Ioulia Timochenko et celui de Petro Porochenko. Il n'est pas trop tard mais si des mesures ne sont pas prises, une contre-révolution se produira ». Olexander Zintchenko a mis nommément en cause les proches de Viktor Ioutchenko et demandé la démission d'Olexander Tretiakov, premier conseiller du Président, de Nikolaï Martynenko, chef du groupe parlementaire Notre Ukraine et surtout de Petro Porochenko, connu sous le nom de « roi du chocolat » pour son activité dans la confiserie. Chef du Conseil national de la sécurité, celui-ci avait été nommé par Viktor Ioutchenko afin de faire contrepoids à Ioulia Timochenko que le Président avait désigné comme Premier ministre. Oligarque tardivement rallié à la révolution orange qu'il a financée –son père est l'un des hommes d'affaires les plus riches d'Ukraine, il est également propriétaire de la chaîne de télévision Kanal 5. Evoquant « un coup d'Etat rampant », Olexander Zintchenko l'accusait d'avoir usé de sa position et de son influence personnelle sur le parquet et d'autres ministères pour faire des affaires.
Devant la crise affectant ses troupes, Viktor Ioutchenko décidait, le 8 septembre dernier, de limoger Olexander Tretiakov et Petro Porochenko, profitant de cette occasion pour destituer Ioulia Timochenko, avec qui les relations étaient devenues très tendues et nommer Iouri Ekhanourov au poste de Premier ministre. Agé de cinquante-sept ans, économiste et ancien gouverneur de la région de Dniepropetrovsk, celui-ci est un fidèle du Président de la République dont il a été l'adjoint lorsque Viktor Ioutchenko était Premier ministre (1999-2001). « Il n'y aura pas de conférence de presse tous les jours mais un travail régulier et quotidien pour sortir le pays de la crise » a déclaré Iouri Ekhanourov lors de son investiture, sous-entendant ainsi que Ioulia Timochenko avait passé plus de temps à soigner son image qu'à véritablement travailler dans l'intérêt du pays. Douze ministres du précédent gouvernement ont été reconduits à leurs postes.
« Aurais-je dû me taire sur la corruption, continuer à faire comme si de rien n'était alors que j'avais maintes fois alerté sans succès le Président de la République ? » s'interroge dorénavant Olexander Zintchenko qui conclut que « tôt ou tard, tout aurait éclaté au grand jour ». L'homme a depuis créé sa propre formation politique qui présentera d'ailleurs des candidats aux élections législatives du 26 mars prochain. Petro Porochenko accuse Ioulia Timochenko de tous les maux, et en particulier de s'être vendue à la Russie par ambition personnelle. Il appelle à la réconciliation et se plaint d'avoir été un bouc émissaire. « J'ai eu le plus grand mal à me blanchir des accusations de corruption d'Olexander Zintchenko, accusations dont il n'a pas donné la moindre preuve. J'ai gagné tous mes procès et la commission parlementaire qui enquêtait sur le sujet a conclu à mon innocence » souligne t-il. Le Président Viktor Ioutchenko s'est finalement résolu à accepter la présence de son ancien Chef du Conseil national de la sécurité sur les listes de sa formation, Notre Ukraine, pour les élections législatives du 26 mars prochain, après avoir promis de ne pas le faire, donnant ainsi, selon les mots de Ioulia Mostova, rédactrice en chef de l'hebdomadaire Zerkalo Nedeli, « une impression d'inconsistance ».
« Il y a eu de l'aventurisme politique et des comportements amoraux. Les idéaux de Majdan (Majdan Nezalejnosti, la place de l'Indépendance de Kiev, lieu de rassemblement des partisans de la révolution orange en décembre 2004) en ont été les victimes et des millions de gens ont été déçus. Nous avons perdu un temps précieux que nous allons rattraper en menant cette fois une politique gagnante » reconnaissait Viktor Ioutchenko, le 19 novembre dernier lors d'une visite à Paris. Un mois plus tard, sur le lieu même qui a vu naître la révolution orange et devant la foule venue commémorer le premier anniversaire de son élection à la Présidence de la République, il déclarait : « Je dirai à ceux qui ont baissé les bras : mes amis, en tant que Président de ce pays, j'affirme que nous suivons la seule bonne voie, celle de la liberté et de la justice pour chacun ». Enfin, dressant le bilan de la révolution orange, il affirmait : « L'Ukraine est devenue ouverte, parfois même trop ouverte. Les Présidents qui étaient ici avant moi vivaient dans un contexte sans discussion possible. Leur vie était sans doute plus simple. Mais pour la nation, pour le peuple, c'étaient de mauvaises conditions. Ce que la révolution orange a apporté, c'est une qualité toute différente dans la façon de gouverner. C'est le dialogue, un dialogue complexe. Mais j'y trouve, croyez-moi, du plaisir. Car je vois grandir sous mes yeux une vraie compétition politique ».
Le système politique
Depuis son indépendance, proclamée le 24 août 1991, l'Ukraine possède un Parlement monocaméral, le Verkhovna rada (Conseil suprême), qui compte quatre cent cinquante membres élus pour quatre ans. Le 2 avril 2004, une loi promulguée par l'ancien Président de la République (1994-2004), Leonid Koutchma, a modifié le mode de scrutin aux élections législatives et accru les pouvoirs du Parlement au détriment de ceux du Président de la République. Alors qu'auparavant, deux cent vingt-cinq députés étaient désignés au scrutin majoritaire, au sein de circonscriptions, et les deux cent vingt-cinq autres au scrutin proportionnel de liste au niveau national, les élections législatives se déroulent désormais au scrutin proportionnel dans l'ensemble du pays. En outre, le seuil minimum nécessaire que doit atteindre un parti politique pour être représenté au Parlement passe de 4% à 3%.
Cette réforme constitutionnelle, adoptée en décembre 2004 et qui a pris effet le 1er janvier dernier, renforce les pouvoirs du Parlement en transférant une partie des pouvoirs du Président de la République vers le Conseil suprême. Ce dernier désignera désormais le Premier ministre ainsi que la plupart des membres du gouvernement, à l'exception toutefois des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, secteurs qui demeurent le domaine réservé du Président de la République. Enfin, cette réforme des institutions fait perdre aux membres du Parlement le droit de changer de groupe parlementaire en cours de mandat.
L'ancien Président de la République (1991-1994), Leonid Kravtchouk, qui s'était pourtant déclaré en faveur de la réforme, met désormais en garde contre le danger que pourrait représenter une réforme qui fait du Parlement l'élément central de la vie politique. « C'est un vrai danger, le Parlement pourrait devenir l'instrument des lobbies » souligne t-il, constatant que les oligarques qui financent les formations politiques sont prêts à payer très cher pour obtenir une place sur les listes électorales.
La guerre du gaz
L'Ukraine est membre de l'Espace économique commun (EEC), organisation créée en 2003 par les présidents russe, biélorusse, kazakh et ukrainien. La survie du Président de la République Viktor Ioutchenko, qui doit sans cesse composer avec ces pays issus de la Communauté des Etats indépendants (CEI), dépend de façon importante des compromis qu'il parvient à passer et de son habilité à maintenir des relations équilibrées avec la Russie. L'Ukraine dépend en effet de son voisin russe pour un cinquième de ses exportations et pour une grande part de ses importations, notamment énergétiques. Cette dépendance explique l'importance pour Viktor Ioutchenko d'un partenariat privilégié de son pays avec l'Union européenne. « Nos priorités en matière de politique étrangère restent inchangées. Rejoindre l' »Union européenne est le principal objectif stratégique de l'Ukraine » a-t-il déclaré le 23 janvier dernier, ajoutant « figure également sur notre agenda une claire restructuration des relations ukraino-russes ». Le 1er décembre dernier, Bruxelles a reconnu à l'Ukraine le statut d'économie de marché, une victoire pour le Président de la République et une décision qui permet de protéger les exportateurs ukrainiens contre les mesures antidumping.
La crise du gaz, qui a débuté il y bientôt un an, est l'exemple parfait de la difficulté pour l'Ukraine de s'affranchir de la tutelle russe et de s'imposer sur la scène internationale. Au printemps 2005, la société russe Gazprom décide d'en finir avec le système datant de l'époque soviétique en vertu duquel l'Ukraine prélevait une partie du gaz à destination de l'Europe occidentale transitant par son territoire. Le 8 juin, Gazprom annonce son intention de relever ses tarifs au niveau du marché, faisant passer les 1 000 m3 de gaz de 50 à 230 dollars. La Russie fournit le tiers du gaz consommé par l'Ukraine dont l'industrie, notamment la métallurgie et la chimie, est une grande consommatrice.
Ne se déclarant pas opposée à un relèvement du prix du gaz, l'Ukraine demande alors une augmentation progressive afin que ses entreprises puissent s'ajuster aux nouveaux tarifs. Les deux pays négocient durant des mois sans qu'aucun compromis ne soit trouvé. L'Ukraine refuse, comme la Russie le lui propose, de perdre le contrôle du gazoduc, qu'elle considère comme une installation vitale pour sa sécurité, en échange d'un prix préférentiel de 47 dollars les 1 000 m3. Enfin, le 1er janvier dernier, Gazprom décide de suspendre ses livraisons de gaz à l'Ukraine. Le 4 janvier, après donc trois jours de coupure de gaz, Russes et Ukrainiens parviennent finalement à un accord, signé pour une durée de cinq ans, dans lequel le Président de la République Viktor Ioutchenko accepte de faire importer la majorité du gaz ukrainien par une société enregistrée en Suisse -et fortement suspectée de blanchiment d'argent, RosOukEnergo, contrôlée pour moitié par Gazprom et pour moitié par un fonds d'investisseurs administré par la banque autrichienne Raiffeisen mais dont les bénéficiaires sont tenus secrets. Quelques mois auparavant, le parquet ukrainien avait d'ailleurs ouvert une enquête contre cette même société. L'accord prévoit que RosOukEnergo achète le gaz au prix de 230 dollars les 1 000 m3 et le revend à l'Ukraine pour 95 dollars, après l'avoir mélangé avec du gaz venu du Turkménistan (qui a d'ores et déjà annoncé qu'il ne renouvellerait pas l'accord en 2007), d'Ouzbékistan et du Kazakhstan. Les deux tiers du gaz proviendront d'Asie centrale et le prix de 95 dollars n'est fixé que pour une période de six mois. L'économiste Andrij Ermolaev qualifie cet accord de « traité de Brest-Litovsk » (en référence au traité signé entre la Russie et l'Allemagne en 1917 pour mettre fin à la guerre entre les deux pays) « qui ne sera valide que le temps que les deux pays mettent au point de nouvelles stratégies ». Selon de nombreux experts, le nouveau montage pourrait aisément permettre à Gazprom et à RosOukEnergo de détourner de gigantesques sommes d'argent.
Récemment, Viktor Ioutchenko s'est engagé à renforcer la coopération énergétique avec la Russie et a décidé de relancer le projet de consortium mixte pour le transport du gaz russe à travers l'Ukraine, un projet qu'il avait écarté lors de son arrivée au pouvoir. « Cette crise du gaz n'est pas un problème économique. Elle a été inventée par un Vladimir Poutine plein de haine afin de jouer un rôle dans le processus des élections législatives. Le Président de Russie veut ébranler, changer le gouvernement et peut-être installer au pouvoir l'adversaire de Viktor Ioutchenko, à savoir Viktor Ianoukovitch » analyse Myroslav Popovych. « Le fait même que Viktor Ioutchenko soit au pouvoir est inacceptable pour la Russie : il prouve qu'un scénario démocratique et possible en ex-URSS » déclare également Ioulia Mostova, qui ajoute « le plus triste, c'est l'irresponsabilité de nos dirigeants, qui au lieu d'être unis dans cette guerre du gaz, en profitent pour engranger des dividendes à court terme ». De son côté, le Président russe a déclaré que l'Ukraine, financée par les banques occidentales, était largement en mesure de payer le gaz russe au prix du marché : « Il s'agit de milliards de dollars, c'est parfaitement suffisant pour acquérir auprès de la Russie les volumes de gaz nécessaires au prix du marché » a-t-il affirmé.
Après cet épisode gazier, le Président de la République Viktor Ioutchenko a dû affronter une nouvelle crise lorsque le Parlement a désavoué l'accord conclu avec la Russie et limogé le gouvernement. Selon les députés, cet accord ne peut qu'entraîner une hausse des prix du gaz pour les particuliers. Viktor Ioutchenko a déclaré que la décision du Conseil suprême était « inconstitutionnelle », accusé le Parlement de vouloir déstabiliser le pays et exigé que les parlementaires reviennent sur leur vote qu'il a qualifié « d'incompréhensible et d'illogique ». Selon le Président de la République, la révocation du gouvernement, votée par les députés proches de Ioulia Timochenko et ceux alliés à Viktor Ianoukovitch, ne peut émaner que du vote d'au moins cent cinquante parlementaires ou encore d'une motion de censure du Chef de l'Etat. Par conséquent, a déclaré Viktor Ioutchenko, le gouvernement de Iouri Ekhanourov dispose « des pleins pouvoirs » et restera en fonction jusqu'aux prochaines élections législatives, une décision finalement acceptée par le Conseil suprême. Seul organe habilité à trancher ce différend, la Cour constitutionnelle en est empêchée ne possédant pas le nombre de juges requis pour se réunir (plusieurs nominations ont été bloquées par le Parlement). A la suite de cette crise, Viktor Ioutchenko a immédiatement retiré sa signature du mémorandum de coopération qu'il avait signé en septembre 2005 avec son ancien rival à la Présidence de la République. « Je reprends ma signature, car l'autre partie a violé le principe fondamental de cet accord, celui d'une coopération pour la stabilité de la situation politique » a-t-il souligné. Selon le quotidien Kommersant du 23 septembre 2005, Viktor Ioutchenko se serait engagé, dans cet accord, à présenter devant le Parlement deux lois d'amnistie, l'une couvrant les falsificateurs des élections, l'autre étendant l'immunité parlementaire aux élus locaux. Par ailleurs, il aurait également promis l'abandon de la remise en cause des privatisations dans le secteur de la métallurgie et de la chimie.
Les forces d'opposition n'ont pas hésité à profiter de la colère provoquée par la crise avec la Russie et de la méfiance de la population envers le grand voisin russe pour fragiliser le camp présidentiel et se repositionner en vue des élections législatives. Dans cette perspective, les membres du groupe de Ioulia Timochenko se sont rapprochés des proches de Viktor Ianoukovitch avec qui ils ont voté un moratoire sur les prix de l'énergie, des transports et des services communaux. Cependant, l'ancien Premier ministre a appelé, début février, à une réunification du camp orange. « Je suis prête à garantir qu'aucune coalition avec le Parti des régions ne sera créée avec ma participation. Je voudrais aussi que Viktor Ioutchenko et Olexander Moroz (leader du Parti socialiste, SPU) apposent leur signature au bas de cet engagement. Nous ne voyons aucune coalition possible avec Viktor Ianoukovitch, nos positions divergent sur presque tous les aspects concernant l'intérêt de l'Ukraine, que ce soit en politique intérieure ou extérieure. Nous ne voyons pas notre parti rejoindre une autre coalition que la coalition orange » a-t-elle déclaré, dénonçant toutefois « les erreurs du gouvernement et du camp du Président de la République ».
« Nous sommes en campagne électorale, l'accord gazier avec la Russie est plus un prétexte que la vraie raison de la crise » assure le politologue Mikhaïl Pogrebinski. « Tous les changements qui ont eu lieu n'ont pour but que d'empêcher une force politique d'assurer pleinement le pouvoir » affirme Sergueï Telechoun, professeur de sciences politiques. En acceptant de confier l'approvisionnement ukrainien en gaz à la société RosOukEnergo, Viktor Ioutchenko a pris un risque qui pourrait, à terme, lui coûter plus cher que les précédentes coupures de gaz effectuées par la Russie. Mais le Président ukrainien pouvait-il vraiment refuser cet accord ? « Le gouvernement a été guidé par les intérêts nationaux de l'Ukraine » a déclaré le Premier ministre Iouri Ekhanourov, défendant l'accord signé avec la Russie.
En dépit des nombreuses difficultés auxquelles le pays doit faire face, les prochaines élections législatives seront libres. « Les élections du 26 mars prochain ne sont pas les élections du Parlement ou du Premier ministre mais elles sont la réponse à la question de savoir si nous réussissons à préserver ce que nous avons gagné il y a douze mois et appelons la liberté ukrainienne et la démocratie ukrainienne » a déclaré, fin décembre, le Président de la République Viktor Ioutchenko. « Nous vivons le chaos de la transformation. C'est tout de même mieux que l'ordre de la décomposition qui prévaut en Russie » affirme de son côté Sergueï Evtouchenko, responsable des relations internationales du mouvement Pora (signifiant « Il est temps » en ukrainien), fer de lance de la révolution orange qui s'est récemment transformé en parti politique.
Une enquête d'opinion réalisée du 20 au 27 janvier derniers par le Centre Sotcis d'études en sciences sociales et politiques donne le Parti des régions en tête des intentions de vote. La formation de Viktor Ianoukovitch est créditée de 22% des suffrages, Batkyvchina (La Patrie), le Bloc électoral de Ioulia Timochenko de 14,7% et Notre Ukraine de 13,8%. Ces trois partis sont suivis du Parti socialiste (SPU), qui recueillerait 6% des voix, du Bloc populaire de Volodymyr Litvine (5,8%) et du Parti communiste ukrainien (KPU), 5,4%.
Sur le même thème
Pour aller plus loin
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
28 avril 2025
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
28 avril 2025
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
14 avril 2025
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
24 février 2025

La Lettre
Schuman
L'actualité européenne de la semaine
Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais
Versions :