Elections législatives en Ukraine, le point à une semaine du scrutin

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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17 mars 2006
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Lors de son allocution hebdomadaire à la radio, le Président de la République Viktor Ioutchenko, a appelé ses compatriotes à participer aux élections législatives qui se dérouleront le 26 mars prochain. « Manifestez votre engagement civique, rendez vous dans les bureaux de vote le 26 mars prochain » a t-il déclaré, ajoutant « Nos voisins savent que notre jeune démocratie subira son premier test sérieux en mars. Je voudrais appeler tout le monde à tout faire pour que l'Etat ukrainien connaisse des élections stables. En tant que Président de la République, je ferai tout mon possible pour que ces élections soient démocratiques. Les Ukrainiens éliront avant tout une nouvelle majorité parlementaire qui sera une majorité démocratique capable de défendre les droits du peuple ukrainien et les intérêts stratégiques de l'Etat et non ceux d'autres pays ».

Les dernières enquêtes d'opinion donnent toujours une avance au Parti des régions dirigé par l'ancien Premier ministre Viktor Ianoukovitch (21 novembre 2002 – 31 décembre 2004) qui, selon le dernier sondage réalisé par la Fondation des libertés, recueillerait 32,4% des intentions de vote. Le bloc électoral Batkyvchina (La Patrie), emmené par l'ancien Premier ministre (janvier - septembre 2005), Ioulia Timochenko, obtiendrait 20,2% des suffrages et le bloc Notre Ukraine, qui rassemble les partisans du Président de la République, Viktor Ioutchenko, 16,7% des voix. Selon Igor Dementiev, président de la Fondation des libertés, le futur Premier ministre sera « immanquablement issu de l'une de ces trois forces politiques ». Dans tous les cas de figure, la formation politique arrivée en tête du scrutin le 26 mars prochain devra former une ou plusieurs alliances pour former le gouvernement. Elle dispose d'un mois après la date des élections pour le faire.

La réforme constitutionnelle, adoptée en décembre 2004 et entrée en vigueur le 1er janvier dernier, a modifié le mode de scrutin aux élections législatives, qui se déroulent désormais au scrutin proportionnel dans l'ensemble du pays, et accru les pouvoirs du Verkhovna rada (Parlement) au détriment de ceux du Président de la République. Le Parti socialiste (SPU), le Bloc populaire de Volodymyr Litvine, celui de Natalia Vitrenko, le Parti communiste (KPU) et, probablement, la coalition Pora (signifiant « Il est temps »), fer de lance de la révolution orange qui s'est récemment transformé en parti politique, devraient être en mesure d'atteindre les 3 % minimum pour être représentés au Verkhovna rada. « Les derniers sondages nous donnent raison, nous sommes assurés de passer la barre des 3% et nous comptons sur un résultat compris entre 6 % et 7 % » déclare Sergueï Evtouchenko, responsable des relations internationales du mouvement Pora. Le Président de la République Viktor Ioutchenko a plusieurs fois exprimé son souhait de réviser la Constitution et de faire approuver cette révision par une consultation populaire. « J'appelle à un plan d'action destiné à mener une véritable réforme politique nationale » a-t-il déclaré début février. Il souhaite créer une commission qui comprendrait des hommes politiques mais également des représentants de la société civile et des experts pour préparer cette réforme qui serait ensuite soumise à référendum. Ioulia Timochenko, leader du bloc électoral Batkyvchina, s'est dit opposée à l'idée d'une consultation populaire sur ce sujet. « Je me souviens que lorsque Leonid Koutchma a organisé un référendum sur la Constitution, Viktor Ioutchenko avait déclaré qu'il le jugeait illégal » a t-elle souligné.

Interviewé par la télévision, le Président de la République a assuré que les élections législatives du 26 mars prochain ne devaient pas être l'occasion d'une « revanche ». « Aujourd'hui, le thème d'actualité pour l'Ukraine est comment former la coalition ou au moins rapprocher l'une de l'autre les forces qui ont soutenu la révolution orange mais qui sont actuellement divisées » a t-il déclaré, faisant implicitement référence à son ancienne alliée, Ioulia Timochenko. « Nous disons « non » à la revanche politique de ceux qui ont soutenu le régime anti-populaire de Leonid Koutchma - Viktor Medvedtchouk - Viktor Ianoukovitch et qui ont falsifié l'élection présidentielle. Nous ne serons jamais du côté de ceux qui vendent les intérêts nationaux » indique le programme électoral du bloc Notre Ukraine qui affirme sa volonté de poursuivre les réformes « afin de rendre irréversibles les transformations en cours ».

De son côté, Viktor Ianoukovitch a centré sa campagne sur les résultats socioéconomiques de la révolution orange. « Le catastrophique déclin de la croissance économique, accompagnée par une destruction du système administratif, présente un danger pour l'Ukraine » répète t-il. L'ancien Premier ministre cherche également à rassurer les pays occidentaux en certifiant que sa formation, le Parti des régions, en rejoignant l'opposition « a réalisé la réelle valeur des droits de l'Homme et des libertés » et qu'il est désormais respectueux de la démocratie. Le Parti des régions assure également de sa volonté de poursuivre l'intégration européenne mise en place par l'actuel Président de la République.

Au début du mois de février dernier, Ioulia Timochenko a proposé au Président de la République, Viktor Ioutchenko, de signer un traité prévoyant de créer une coalition pour les élections législatives du 26 mars prochain. Ce projet stipulait que les forces politiques signataires s'engageaient à ne pas former d'alliance avec le Parti des régions de Viktor Ianoukovitch. « Je suis prête à garantir qu'aucune coalition avec le Parti des régions ne sera créée avec ma participation » affirme Ioulia Timochenko qui a également proposé que la force politique qui arrivera en tête des élections puisse proposer son propre candidat au poste de Premier ministre. Si elle n'hésite pas à dénoncer les agissements dont se rendraient coupables certains membres du bloc électoral Notre Ukraine, elle prend toutefois garde à ne jamais accuser nommément Viktor Ioutchenko avec lequel elle souhaite toujours nouer une alliance. Ioulia Timochenko, qui n'hésite pas à affirmer qu'elle se « situe dans l'opposition », répète qu'elle soutiendra le Président de la République lors de la prochaine législature, précisant seulement « Si Notre Ukraine s'allie à Viktor Ianoukovitch, alors je rejoindrai les rangs de l'opposition ». Le Président de la République a cependant refusé d'apposer sa signature à ce projet de coalition.

Les relations avec le voisin russe sont, avec la lute contre la corruption et les problèmes économiques et sociaux, l'autre grand thème de la campagne électorale des élections législatives. Si Viktor Ioutchenko est favorable à l'intégration de l'Ukraine au sein de l'Union européenne, il sait également que son pays se doit de préserver des relations cordiales avec la Russie. « L'Ukraine n'est pas la Russie mais nous sommes d'éternels voisins liés par une riche histoire » a-t-il déclaré.

Le 22 février dernier, les députés du Parlement de Crimée ont voté en faveur de l'organisation, le même jour que les élections législatives, d'un référendum pour faire du russe la deuxième langue nationale de l'Ukraine. Cinquante-trois députés ont approuvé la proposition, soit trois de plus que la majorité nécessaire. Depuis l'indépendance du pays (24 août 1991), l'ukrainien est la seule langue officielle reconnue. On estime cependant qu'environ dix millions de personnes ont le russe pour langue maternelle et que 65% de la population utilisent cette langue dans la vie quotidienne. La question linguistique avait déjà été au cœur de la campagne pour l'élection présidentielle. Viktor Ioutchenko et Viktor Ianoukovitch avaient tous deux proposé de faire du russe la deuxième langue du pays ainsi que d'accorder une double nationalité russo-ukrainienne à ceux qui le demanderaient. Viktor Ioutchenko s'était déclaré favorable à ce que les russophones puissent disposer « d'une presse, de livres, d'écoles et de théâtres en langue russe ». « La langue russe en Ukraine ne doit être opprimée à aucun niveau. Le russe est la langue de millions de citoyens ukrainiens, voilà pourquoi l'Etat doit assumer sa responsabilité pour le développement de cette langue » déclarait encore le Chef de l'Etat en mai dernier. La commission électorale centrale a cependant interdit le 8 mars dernier la tenue d'une consultation populaire sur la langue russe le 26 mars prochain.

Le 3 mars dernier, de nouvelles règles douanières entre l'Ukraine et la région orientale de la Moldavie, la Transnistrie, qui a auto-proclamé son indépendance en 1992 au terme d'un conflit ayant fait plusieurs centaines de morts, ont été mises en place. Le chef des douanes, Alexandre Egorov, a signé une ordonnance selon laquelle les marchandises transitant par la frontière entre l'Ukraine et la région sécessionniste de Transnistrie devraient désormais être dédouanées en Moldavie et non plus en Transnistrie. La région sécessionniste de Transnistrie est sous occupation militaire russe. En dépit d'un accord international selon lequel la Russie s'était engagée à rapatrier ses soldats avant le 31 décembre 2002, deux mille soldats de la quatorzième armée russe, transformée en groupe opérationnel en 1994, sont toujours stationnés dans la région. La région sécessionniste de Transnistrie possède sa Constitution, son hymne national, son Président, Igor Smirnov depuis le 2 septembre 1990, son gouvernement, son Parlement, son armée et sa monnaie (le rouble transnistrien ou souvoriki) mais aucun Etat, pas même la Russie, ne reconnaît cette République.

La région sécessionniste de Transnistrie a qualifié ces nouvelles mesures prises sans notification préalable de « blocus économique » et a dénoncé la décision ukrainienne expliquant qu'elle violait l'accord conclu entre Kiev et Chisinau (capitale de la Moldavie) et Tiraspol (capitale de Transnistrie) en 1997. « L'introduction par l'Ukraine de nouvelles règles douanières pour la Transnistrie non reconnue constitue une tentative de sabotage du mécanisme de règlement du conflit » a déclaré le directeur de l'institut des pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI), Constantin Zatouline.

Valeri Keniaikine, ambassadeur itinérant du ministère russe des Affaires étrangères, a qualifié la situation en Transnistrie « d'action politique bien coordonnée à laquelle participent non seulement l'Ukraine et la Moldavie mais également les pays occidentaux », assurant néanmoins que « la Russie ferait tout pour éviter un scénario musclé ». Vitali Koulik, directeur du Centre ukrainien des problèmes de la société civile, a surenchéri en affirmant que le statut d'économie de marché attribué par l'Union européenne en décembre dernier et l'abrogation de l'amendement américain limitant ses liens commerciaux « ont été obtenus par l'Ukraine en échange du blocus de la Transnistrie ».

L'Ukraine a également décidé de ne pas ouvrir de bureaux de vote sur le territoire de la Transnistrie. La très grande majorité des 70 000 Ukrainiens vivant en Transnistrie s'étaient prononcés en faveur de Viktor Ianoukovitch lors de l'élection présidentielle de novembre-décembre 2004.

En réaction aux menaces de la Russie consécutives aux nouvelles règles douanières prises à l'encontre de la région sécessionniste de Transnistrie, l'Ukraine a de nouveau brandi la menace de mettre fin à l'utilisation par la flotte russe des quatre bases navales de Sébastopol que le pays loue (jusqu'en 2017) à la Russie pour un loyer annuel de cent millions de dollars. Quatre cents navires militaires et seize mille marins russes sont stationnés dans le port de Sébastopol, ville dont la quasi-totalité des 330 000 habitants sont d'origine russe. Situé sur la Mer noire, ce port où l'eau ne gèle jamais a été créé par la tsarine Catherine II en 1783, douze ans après l'annexion de la Crimée par la Russie. En 1954, pour fêter le tricentenaire du rattachement de l'Ukraine à la Russie, Nikita Khrouchtchev lui offrit le territoire de la Crimée en cadeau. Au moment de l'accession de l'Ukraine à l'indépendance, la Crimée avait d'abord fait sécession avant d'accepter de rester au sein du nouvel Etat.

En visite en Ukraine du 28 février au 2 mars dernier, la mission de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est félicitée de la très grande amélioration de l'atmosphère dans laquelle se déroule la campagne électorale des élections législatives du 26 mars prochain. La mission s'est dite confiante dans le fait que le scrutin se déroule de façon démocratique. Certains motifs de préoccupation subsistent cependant et notamment le grand nombre de commissions électorales n'ayant pas encore été formées faute de candidats nommés par les formations politiques. « Nous sommes confiants, l'Ukraine a mis le cap de manière irréversible sur l'Europe et nous la soutenons sur cette voie. Ces élections confirmeront l'engagement des Ukrainiens envers la démocratie » a déclaré Ursula Plassnik, ministre des Affaires étrangères de l'Autriche, pays qui assure jusqu'au 1er juillet la présidence de l'Union européenne. Enfin, en visite les 2 et 3 mars derniers à Kiev, Benita Ferrero-Waldner, Commissaire européenne chargée des Relations extérieures, a affirmé : « L'organisation de ces élections est très importante. Si elles suivent les normes internationales, cela peut aider à débloquer de nouvelles opportunités pour l'Ukraine et déterminer dans quelle mesure nous pourrons progresser dans l'approfondissement de nos relations. Au cours de l'année écoulée, le pays a accompli des progrès remarquables en matière de réformes démocratiques et économiques et affiché clairement sa volonté de se rapprocher de l'Union européenne. Il est très important que l'élan positif de notre relation se prolonge ». « Nous attendons que l'Ukraine aille plus loin, après les élections et notamment dans les domaines économique et judiciaire » a t-elle précisé. A la suite de ces propos, Boris Tarassiouk, ministre des Affaires étrangères de l'Ukraine, a affirmé que Viktor Ioutchenko allait demander au gouvernement de faire une demande formelle d'adhésion à l'Union européenne : « Qui peut justifier l'exclusion de l'un des plus grands Etats européens, cinquième en termes de population et d'une importance géopolitique et géostratégique évidente ? .

Le 14 mars dernier, le Parlement s'est prononcé pour l'octroi de vingt-huit millions de dollars supplémentaires pour financer la campagne électorale des élections législatives. Selon la présidente par intérim du comité budgétaire du Parlement, Ludmila Souproun, cette mesure a pour but d'augmenter de dix dollars le salaire journalier des membres des commissions électorales (ce salaire est de 3,4 dollars actuellement). Cent millions avaient auparavant été affectés au financement de la campagne électorale des élections législatives. Le 26 mars prochain, outre leur Parlement, les Ukrainiens sont également appelés à renouveler leurs assemblées régionales et leurs autorités locales.

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