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Élections en Europe
Corinne Deloy
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Corinne Deloy
L'Action des citoyens insatisfaits (ANO, qui signifie « oui » en tchèque), parti populiste de l’ancien Premier ministre (2017-2021) Andrej Babis, est arrivé largement en tête des élections législatives les 3 et 4 octobre 2025. ANO a recueilli 34,52% des suffrages et conquis 80 sièges, soit +8 par rapport aux précédentes élections législatives des 8 et 9 octobre 2021.
La coalition Spolu (qui signifie Ensemble) composée du Parti démocrate-civique (ODS), parti libéral positionné à droite sur l’échiquier politique et emmené par le Premier ministre sortant Petr Fiala ; l'Union chrétienne-démocrate-Parti du peuple (KDU-CSL), parti centriste et conduit par Marek Vyborny, et Tradition, responsabilité, prospérité 09 (TOP 09), parti libéral de droite présidé par Marketa Pekarova Adamova, ont obtenu 23,36% et 52 élus (- 19).
ANO est arrivé en tête dans 13 des 14 régions du pays. La coalition sortante Spolu du Premier ministre sortant Petr Fiala s’est imposée à Prague.
La coalition gouvernementale est suivie par Maires et indépendants (STAN), parti de défense des intérêts locaux et favorable à la décentralisation membre de la coalition gouvernementale sortante et dirigé par Vit Rakusan (11,23% des suffrages, 22 sièges, - 11) ; le Parti pirate (CSP), dirigé par Zdenek Hrib, ancien maire de Prague (2018-2023), qui a obtenu 8,97% des voix (18 députés, + 14). Liberté et démocratie directe (SPD), parti populiste de droite radicale conduit par Tomio Okamura, a recueilli 7,78% des voix et 15 sièges (- 5) et l’autre parti d’extrême droite, les Automobilistes pour eux-mêmes (Motoriste sobe), dont le président d'honneur est Filip Turek, a obtenu 6,77% des suffrages (13 élus).
Le parti de Filip Turek a été fondé en 2022 sur les cendres du Parti de l’indépendance de la République tchèque. Il a choisi son nom pour marquer son opposition à l’interdiction de la production de véhicules équipés de moteurs thermiques et, au-delà, à toutes les initiatives proposées dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe ainsi que son désir du maintien du modèle traditionnel de l’industrie automobile.
Enfin, Stacilo!, coalition composée entre autres de Social-démocratie (SOCDEM), ancien Parti social-démocrate (CSSD), présidé par Jana Malacova et du Parti communiste de Bohême et Moravie (KSCM), présidé par Katerina Konecna, a recueilli 4,31% des voix, soit au-dessous du seuil de 5% des suffrages pour être représenté à la Chambre des députés (Poslanecka Snemovna Parlamentu Ceske republiky), chambre basse du parlement tchèque.
Les forces de gauche échouent donc à retrouver, après quatre ans d’absence, le chemin de la Chambre des députés. « La gauche devient inutile car la politique est déterminée par la lutte entre la droite conservatrice, qui propose un retour à la normale en ces temps troublés, et les radicaux de droite, qui expriment le mécontentement des classes populaires face aux effets de la mondialisation (…) La gauche, qu’il s’agisse des sociaux-démocrates, des socialistes ou des verts, ne peut qu’aider à faire passer les politiques de centre-droit en tant que partenaire minoritaire » écrit l’éditorialiste du site d’information Seznam Zpravy sur la situation politique en Europe. « La République tchèque ne déroge pas le moins du monde à cette tendance » conclut-il.
La participation s’est élevée à 68,95%, soit au-dessus de celle enregistrée lors des précédentes élections législatives d’octobre 2021 (+ 3,56 points). Elle est la troisième plus importante depuis le 1er janvier 1993, date de la séparation de la République tchèque et de la Slovaquie.
Résultats des élections législatives des 3 et 4 octobre 2025 en République tchèque
Participation : 68,95%
Source : https://www.volby.cz/app/ps2025/cs/results
Andrej Babis s’est félicité du « succès historique » de son parti et il a déclaré que ANO formerait un gouvernement minoritaire. Si la victoire d’ANO est indéniable, la question reste entière : le parti d’Andrej Babis va-t-il être en mesure de gouverner ? Si oui, avec quels partis ?
Le dirigeant populiste a déclaré qu’il ne coopèrerait pas avec les membres de la coalition gouvernementale sortante de centre-droit et il a affirmé préférer voir son parti gouverner seul, en s’appuyant sur telle ou telle autre force selon les questions. Il avait mis en avant durant les derniers jours de la campagne électorale cette idée de gouvernement minoritaire, s’appuyant sur des alliances au cas par cas. Après l’annonce des résultats, Andrej Babis a évoqué la possibilité de collaborer avec Liberté et démocratie directe et avec les Automobilistes pour eux-mêmes.
Andrej Babis, ancien centriste et libéral, se montre dorénavant illibéral et il se réclame du président des Etats-Unis, Donald Trump. « Les sortants exagèrent en le traitant d’agent de Moscou. Andrej Babis n’est pas un idéologue, c’est avant tout un homme d’affaires pragmatique qui prend ses décisions en fonction de ses intérêts. Il y a dix ans, il était payant pour lui de jouer sur ses amitiés avec Emmanuel Macron ; aujourd’hui, l’air du temps est au trumpisme » souligne Lukas Macek, directeur du campus de Sciences Po à Dijon.
Andrej Babis n’est en effet pas un idéologue comme le sont le Hongrois Viktor Orban (Alliance des jeunes démocrates-Union civique, FIDESZ-MPSZ) ou le Polonais Jaroslav Kaczynski (Droit et justice, PiS). Auparavant libéral, centriste, pro-européen et porteur d’un discours contre la corruption, il est avant tout un businessman et un populiste pragmatique, défenseur des idées de la droite radicale, opposé à toute immigration et anti-européen. ANO est véritablement un parti attrape-tout. Au cours des dernières années, Andrej Babis s’est rapproché des Premiers ministres hongrois Viktor Orban et slovaque Robert Fico (Direction-Démocratie sociale, SMER-SD). Il a déclaré qu’il envisageait de s’unir avec les forces opposées à l’octroi d’aide à l’Ukraine et qu’il était prêt à abandonner les engagements de défense pris par son pays auprès de l’OTAN. « 2% du PIB pour la défense sont suffisants » a-t-il déclaré.
« Ce qui m’inquiète davantage c’est le côté revanchard » a déclaré Lukas Macek. « Andrej Babis va certainement essayer de faire certaines choses qu’on a vu en Slovaquie et en Hongrie, en cherchant, par exemple, à affaiblir l’audiovisuel public, mais ce ne sera pas aussi facile[1]. Nous avons un Sénat qui est contrôlé par la majorité sortante et peut bloquer tout amendement de la Constitution, une Cour constitutionnelle forte et un président de la République (Petr Pavel) qui n’est pas son allié, à la différence de ce qui était le cas lors de son premier mandat (Milos Zeman alors chef de l’Etat) » a indiqué l’analyste politique Jiri Pehe, qui rappelle que les intérêts des entreprises d’Andrej Babis sont, par ailleurs, bien trop liés à l’Union européenne pour que celui-ci envisage de rompre avec Bruxelles.
La coalition gouvernementale sortante a fait campagne en accusant Andrej Babis de vouloir quitter le camp occidental et rapprocher la République tchèque de la Russie de Vladimir Poutine. Le Premier ministre sortant Petr Fiala a répété qu’il s’agissait des élections législatives les plus importantes pour le pays depuis la chute du communisme en 1989. Le chef du gouvernement avait mis en garde contre le danger que représentait une alliance d’ANO avec les partis situés aux extrêmes sur l'échiquier politique « qui remettent en question notre appartenance à l’Ouest et qui courbent la tête devant le Kremlin alors que l’Europe subit une agression russe et une guerre de désinformation, ces partis qui collaborent avec le régime de Poutine et qui veulent faire un référendum pour quitter l’Union européenne ». « C’est un risque fondamental pour la République tchèque. Nous rejetons cette voie. Nous nous tenons fermement du côté de la démocratie, de la règle de droit et de l’ancrage clair à l’espace euro-atlantique » avait souligné le chef du gouvernement. Cela n’a pas suffi à empêcher la victoire d’Andrej Babis.
« Rien dans ce qu’Andrej Babis a dit ou pu faire lorsqu’il était Premier ministre entre 2017 et 2021 ne suggère qu’il est prorusse. Il n’a jamais démontré avoir d’atome crochu économique ou idéologique avec la Russie » a affirmé Vit Hlousek, professeur de science politique à l’université Masaryk de Brno, ajoutant « S’il devient Premier ministre, on peut s’attendre à une politique de soutien à l’Ukraine revu à la baisse mais ce ne sera pas pour faire plaisir à Vladimir Poutine. C’est une position purement opportuniste de la part d’Andrej Babis ».
« Nous voulons sauver l'Europe (...) et nous sommes clairement pro-européens et pro-OTAN » a déclaré Andrej Babis après sa victoire.
Rappelons que la coalition gouvernementale dirigé par Petr Fiala a soutenu les sanctions prises contre la Russie, elle a fourni des armes, du matériel militaire et un soutien logistique et humanitaire à Kiev. Depuis le début de l'invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, la République tchèque a accueilli plus de 500 000 réfugiés ukrainiens ; 300 000 vivent toujours dans le pays. De nombreux Tchèques cependant ont reproché aux autorités de négliger leur propre population. « Nous avons connu une forte inflation après la pandémie de Covid-19 tandis que les salaires n’augmentaient pas aussi rapidement, ce qui a contribué à faire baisser le niveau de vie d’une partie de la population. Le gouvernement a été perçu comme ne faisant rien pour arranger la situation » a indiqué le journaliste Jan Culik pour expliquer en partie le recul des partis de la coalition dirigée par le Premier ministre sortant. « Petr Fiala n'a pas nui à notre situation économique, mais il a en quelque sorte perdu le soutien du monde des affaires. La stagnation économique a également inquiété les électeurs, car son gouvernement s'est contenté de gérer la situation plutôt que de promouvoir l'innovation et les grands projets » indique Martin Ehl, analyste en chef au quotidien économique Hospodarske Noviny.
Andrej Babis a promis de placer les Tchèques au premier plan. Il a affirmé qu’il relancerait la croissance économique tout en réduisant l'aide accordée à l'Ukraine. Hausse des salaires et des retraites, baisse généralisée des impôts, réduction de la TVA dans la restauration, suppression des redevances audiovisuelles, revalorisation des allocations parentales et des aides sociales, telles sont quelques-unes des mesures du programme d’ANO.
Agé de 71 ans, Andrej Babis est né à Bratislava (Tchécoslovaquie). Fils de diplomate, il a vécu en France et en Suisse et il est diplômé d'économie de l'université de Bratislava. Il a débuté sa carrière dans le commerce international, dirigeant la délégation commerciale tchécoslovaque au Maroc durant six ans. En 1993, il a fondé Agrofert, qui rassemble des entreprises du secteur agroalimentaire, chimique et de l'industrie du bois. En 2011, il a créé l’Action des citoyens insatisfaits (ANO), parti dont il est toujours le président. En 2013, il est nommé ministre des Finances dans le gouvernement dirigé par le social-démocrate Bohuslav Sobotka, jusqu'à son éviction en mai 2017, consécutive à la levée de son immunité parlementaire par la Chambre des députés. Il est en effet soupçonné avec Jaroslav Faltynek, vice-président d’ANO et ancien membre de la direction d'Agrofert, d'avoir, en 2009, sorti son centre de conférences et de villégiature situé au sud-est de Prague nommé Le nid de cigogne (hnízdo capu) du conglomérat qu'il possédait pour que celui-ci puisse bénéficier d’une subvention européenne de 50 millions de couronnes (1,85 million €) destinée aux petites et moyennes entreprises du tourisme.
Andrej Babis a remporté les élections législatives des 20 et 21 octobre 2017et il est nommé Premier ministre. Son parti ANO arrive en tête du scrutin législatif des 8 et 9 octobre 2021 mais échoue à former une majorité de gouvernement. Deux ans plus tard, il est candidat à l'élection présidentielle des 13-14 et 27-28 janvier 2023 mais il est battu au deuxième tour par Petr Pavel (indépendant), qui recueille 58,33% des suffrages (41,67% pour Andrej Babis). Près de trois ans plus tard, il signe donc un come back triomphant et il va tout faire pour reprendre les rênes du gouvernement.
Reste que Andrej Babis est en attente d’un nouveau procès depuis que sa relaxe dans l'affaire dite du Nid de cigogne de fraude aux fonds de l'Union européenne a été annulée le 23 juin dernier par la Cour d’appel (le tribunal avait acquitté l'ancien Premier ministre en première instance en février 2024). Cette annulation ouvre la voie à nouveau procès devant le tribunal municipal de Prague. Cela pourrait pousser le président de la République Petr Pavel à confier à un autre membre d’ANO la mission de former le prochain gouvernement.
« Je ne m’attends pas à un changement fondamental en cas de victoire d’Andrej Babis. Ce dernier est un homme d'affaires pragmatique et la seule chose qui lui importe est de récupérer le pouvoir » a indiqué Josef Mlejnek, professeur de science politique de l'université Charles de Prague. Souhaitons que les faits lui donnent raison.
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