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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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Corinne Deloy

Fondation Robert Schuman
6 652 105 Serbes sont appelés à renouveler les 250 membres de l'Assemblée nationale de la République de Serbie, Chambre unique du Parlement, le 21 janvier prochain. Parmi eux, 31 370 voteront de l'étranger.
La Serbie détient probablement le record du nombre de partis politiques. En effet, 357 formations sont enregistrées au ministère de l'Administration d'Etat et des gouvernements locaux (pour ce faire, un parti doit réunir au moins 100 signatures de citoyens en âge de voter et verser 8 750 dinars, soit environ 115 euro). Cependant, seuls 10% de ces partis participeront aux élections législatives du 21 janvier prochain. Une nouvelle loi sur l'organisation des formations politiques devrait d'ailleurs être votée après le scrutin.
Un groupe d'une vingtaine d'observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est présent pour suivre les campagnes électorales des partis, la couverture médiatique des élections, observer le déroulement du scrutin et évaluer le travail de la Commission électorale serbe. « Ces élections législatives sont importantes pour trois raisons : ce sont les premières élections depuis la dissolution de l'Etat de Serbie-Monténégro, l'adoption de la Constitution serbe et elles auront lieu avant la décision sur le futur du Kosovo » a déclaré le chef du groupe d'observateurs de l'OSCE, Geert Ahrens.
Alors que les formations albanaises de la vallée de Presevo (sud du pays) avaient choisi de s'unir sous le nom de « Coalition des Albanais de la vallée de Presevo » pour participer aux élections législatives du 21 janvier prochain -une première depuis 1990- le Mouvement pour un progrès démocratique (PDP) de Jonuz Musliu a finalement décidé, quelques jours après la défection du Parti démocratique albanais -DPA-PDSh- de Ragmi Mustafa, de se retirer à son tour de la course. Le Parti pour l'action démocratique (PDD) de Riza Halimi et l'Union démocratique de la vallée (DUD) de Skender Destani sont donc les deux seules formations à rester en lice. Elles présenteront dix candidats, Riza Halimi occupera la tête de liste et Skender Destani sera numéro deux. Les deux partis, qui ont regretté la décision des deux autres formations albanaises, représentent environ 750 000 électeurs.
L'Union des Roms de Serbie (URS) présentera 250 candidats aux élections législatives et espère obtenir au moins 5 sièges. Les Roms constituent la plus importante minorité de Serbie (800 000 membres). Ils comptent sur le soutien de la diaspora rom des autres Etats d'Europe.
Le Parti démocrate (DS) a désigné l'ancien ministre des Finances, Bozidar Djelic, comme son candidat au poste de Premier ministre. Bozidar Djelic a promis, en cas de victoire, de passer des lois pour garantir l'autonomie de la Voïvodine. Le programme du Parti démocratique de Serbie (DSS) du Premier ministre Vojislav Kostunica se donne quatre priorités : la sauvegarde de l'intégrité du territoire serbe, la baisse du chômage, la reprise des négociations avec l'Union européenne et la lutte contre le crime et la corruption. La formation ultranationaliste, le Parti radical (SRS), se bat pour une diminution de la corruption et du crime, le Parti socialiste de Serbie (SPS) a centré son programme sur le Kosovo et le Parti libéral-démocrate (LDP), dirigé par Cedomir Jovanovic, seule formation favorable à l'indépendance du Kosovo, met en avant l'arrestation des criminels de guerre et leur extradition au Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie de La Haye (TPIY) ainsi que l'établissement d'une loi sur la lustration. Enfin, G17 Plus, formation dirigée par l'actuel ministre des Finances, Mladjan Dinkic, souhaite le renforcement de la stabilité du dinar et un meilleur développement régional.
Cependant, la campagne électorale a été centrée sur les questions économiques. La Serbie a connu l'an passé une trop faible mais réelle amélioration de sa situation économique, notamment en matière de maîtrise de la hausse des prix. L'inflation, qui atteignait 17,7% en 2005, s'est élevée à 6,6% en 2006. Le pays connaît une croissance de 6% (la plus rapide des Balkans) et a attiré l'an passé plus d'investissements étrangers que par le passé. Cependant, le taux de chômage demeure élevé (au-delà de 25% de la population active), la balance commerciale reste déséquilibrée (5,5 milliards d'euro de déficit) et le pays est toujours handicapé par son système bureaucratique et une forte corruption, sans parler de ses problèmes politiques. Par ailleurs, 10% de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté. Les formations politiques rivalisent de promesses électorales souvent irréalistes pour attirer les suffrages.
Cependant, à quelques jours de la remise du rapport de l'envoyé spécial des Nations unies pour le Kosovo, Martti Ahtisaari, au groupe de contact sur le futur statut de la province (qui réunit l'Allemagne, les Etats-Unis, la France, l'Italie, la Russie et le Royaume-Uni), l'avenir de la province du Sud du pays est dans toutes les têtes durant cette campagne électorale. Afin de ne pas interférer avec les élections législatives, la remise du rapport de Martti Ahtisaari au groupe de contact, initialement prévue pour la fin 2006, a été reportée de quelques semaines. Le président par intérim du Parti radical, Tomislav Nikolic, répète d'ailleurs que ces élections ont été organisées « au mauvais moment » afin d'avoir un taux de participation le plus faible possible, ce qui est dans l'intérêt du Premier ministre Vojislav Kostunica (DSS).
Petit rappel des faits : En juin 1999, la résolution 1 244 autorise les Nations unies à prendre le contrôle du Kosovo après onze semaines de bombardements aériens de l'OTAN qui ont défait les forces serbes (armée et police) et les ont contraintes à se retirer de la province où ils combattaient les séparatistes albanais. Depuis cette date, le Kosovo est un protectorat géré par la Mission des nations unies pour le Kosovo (Minuk), dirigée par Joachim Rücker, et placé sous le parapluie militaire de l'OTAN. La résolution 1 244 accorde une « autonomie substantielle » à la région au sein de la Serbie. Le Kosovo est peuplé de 2 millions d'habitants, albanophones à 90%. Il est gouverné par un Président, Fatmir Sedju, élu le 9 décembre dernier et qui a succédé à Ibrahim Rugova, mort le 21 janvier 2006, et un gouvernement -dirigé depuis le 10 mars 2006 par Agim Ceku- issu d'un Parlement démocratiquement élu. Cependant, la politique étrangère et les questions de sécurité sont gérées directement par les Nations unies.
Dans la perspective du nouveau statut, la Minuk a commencé à planifier son retrait et le transfert de compétences aux institutions locales et internationales qui doivent lui succéder. En outre, quelle que soit la décision que prendra la communauté internationale, 16 000 hommes de l'OTAN resteront au Kosovo. C'est l'Union européenne qui prendra le relais de la Minuk. La future mission européenne sera dotée d'un budget annuel de fonctionnement de 145 à 150 millions d'euro, soit le plus important pour une mission de gestion civile européenne. L'Allemagne a fait du Kosovo l'une des priorités de sa présidence de l'Union européenne qui a débuté le 1er janvier dernier. « La décision sur le statut du Kosovo doit satisfaire la demande d'une plus grande autonomie émanant des albanophones sans affaiblir la démocratie en Serbie » a déclaré la chancelière Angela Merkel le 7 janvier dernier. Début janvier, le chef de la Minuk, Joachim Rücker, a déclaré être confiant dans le fait que « Martti Ahtisaari présentera une solution acceptable par les deux parties ». Le Président du Kosovo, Fatmir Sedju, a demandé à la population de participer aux élections législatives du 21 janvier prochain. « Vous devez participer à tout ce qui contribue à la démocratisation de la Serbie » a-t-il souligné.
Côté serbe, les propos sont d'une autre teneur. Si les Albanais du Kosovo réclament l'indépendance de la province, les Serbes refusent de renoncer à une terre qu'ils considèrent comme le berceau de leur histoire et ne semblent disposer à accepter qu'une plus ou moins large autonomie. Bien que la grande majorité des hommes politiques sachent que l'avenir du Kosovo se jouera très probablement en dehors de la Serbie, aucun ne prend le risque de l'admettre publiquement. Les Serbes peuvent néanmoins encore compter sur la Russie de Vladimir Poutine pour opposer son veto au Conseil de sécurité des Nations unies si la solution proposée pour le futur statut de la province ne convient pas à Belgrade. Cependant, les vues de Moscou vont au-delà du Kosovo et la Russie peut également voir dans une modification des frontières de la Serbie un précédent permettant à l'Ossétie du Nord, l'Abkhazie et à la Transnistrie, trois Républiques sécessionnistes qu'elle soutient, d'user du même droit. La crainte de la communauté internationale est de voir le Kosovo déclarer unilatéralement son indépendance, ce que le Premier ministre kosovar Agim Ceku a déjà menacé de faire. « Ce n'est pas une menace mais nous considérons cela comme une possibilité. Le Kosovo va certainement devenir un pays indépendant. Bien sûr, nous préfèrerions que cela passe par une résolution du Conseil de sécurité qui obtiendrait un large soutien » a-t-il déclaré.
« Il ne fait pas de doute que la redéfinition de la frontière serbe et la création d'un nouvel Etat albanais indépendant sur 15% du territoire serbe est inacceptable et impossible. La Charte des Nations unies garantit l'inviolabilité des frontières, la souveraineté et l'intégrité territoriale à chaque Etat » a réaffirmé le Premier ministre Vojislav Kostunica le 3 janvier dernier dans une lettre adressée au nouveau secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon. « Le Kosovo est la plus précieuse part de la Serbie. Conserver le Kosovo au sein de la Serbie est vital pour l'avenir de la Serbie » avait-il déclaré le 1er janvier au Kosovo même où il a passé la fin de l'année 2006. Vojislav Seselj, le leader du Parti radical inculpé de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye et emprisonné depuis sa reddition en février 2003, est intervenu dans le débat pour signifier que la Serbie devait rompre ses relations diplomatiques avec tout pays qui reconnaîtrait un Kosovo souverain et défendre son idée de Grande Serbie qu'il étend jusqu'aux régions de Croatie et de Bosnie-Herzégovine où vivent des Serbes. Le nouveau leader du Parti socialiste de Serbie, Ivica Dacic, a affirmé que « le Kosovo est le berceau de la Serbie et personne n'a le droit de dire qu'il refuse de se battre pour défendre un Kosovo serbe ». Le ministre des Affaires étrangères, Vuk Draskovic (Mouvement du renouveau serbe, SPO), plaide pour un compromis respectant l'intégrité territoriale de la Serbie ; « Pourquoi pas une Serbie, deux systèmes ? » suggère t-il citant en exemple la solution adoptée par la Chine après le rattachement de Hong-Kong à la Chine en 1997 (en intégrant la Chine, Hong-Kong a conservé ses institutions héritées du système britannique). Vuk Draskovic met en avant le fait que « l'indépendance a été garantie aux dirigeants kosovars depuis le début, ce qui ne les a pas incités au compromis ». « La Serbie n'acceptera pas qu'une partie de son territoire souverain devienne un autre Etat albanais dans les Balkans » conclut-il.
« L'indépendance du Kosovo déstabiliserait pour longtemps non seulement la Serbie mais la région toute entière. Il ne s'agit pas seulement du Kosovo mais des perspectives régionales de l'Union européenne. Ce résultat doit déboucher sur la stabilité régionale. Sans stabilité, il n'y a pas de développement ni de perspective pour nos pays et nos peuples » souligne le Président de la République, Boris Tadic, qui ajoute « Il est très difficile de savoir ce qui va advenir mais soyez sûrs que la Serbie a une réponse prête pour chacune des possibilités et que cette réponse n'est certainement pas la guerre ». Le Chef de l'Etat est très investi dans la campagne électorale pour les élections législatives et redouble d'activité pour parvenir à une reprise rapide des négociations entre son pays et Bruxelles. En mai dernier, l'Union européenne a suspendu la négociation sur l'accord de stabilisation de d'association, première étape vers une adhésion, pour faire pression sur les autorités serbes afin que celles-ci coopèrent avec le Tribunal pénal international de La Haye notamment pour l'arrestation des deux anciens chefs politiques et militaires des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, suspectés de génocide sur la population bosniaque durant la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995). « Nous devons montrer que nous voulons devenir membres de l'Union européenne. Notre priorité numéro un est l'adhésion à l'Union européenne. Nous devons devenir candidat officiel avant la fin de l'année 2007 ». Boris Tadic et le Parti démocrate affirment que s'ils remportent le scrutin du 21 janvier prochain, ils trouveront et arrêteront en trois mois le général Ratko Mladic que le gouvernement de Vojislav Kostunica n'a jusqu'alors pas pu localiser. « Je ne permettrai pas aux forces qui veulent nous ramener vers le passé de gagner les élections législatives. J'espère dans la victoire des forces démocratiques, la victoire des politiques qui ont pour premier but notre intégration dans l'Union européenne » a affirmé Boris Tadic.
Olli Rehn, commissaire européen chargé de l'Elargissement, a souligné : « Nous soutenons les ambitions européennes de la Serbie. Je suis sûr que la Serbie sera capable de regagner le temps perdu et de progresser sur la voie européenne ». Les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont prévu de se réunir le 22 janvier prochain, soit au lendemain des élections législatives serbes, afin de réévaluer la situation politique de la République balkanique.
Les dernières enquêtes d'opinion créditent le Parti radical du plus grand nombre de voix. La formation ultranationaliste serait suivie du Parti démocrate puis du Parti démocratique de Serbie. Selon les sondages, seuls le G17 Plus, le Parti libéral-démocrate et le Parti socialiste de Serbie dépasserait le seuil de 5% des voix indispensable pour être représenté au Parlement. « Les partis qui ne passeront pas ce seuil disparaîtront à jamais de la scène politique et seront absorbés par d'autres formations » prévoit l'analyste politique du quotidien Politika, Dragoljub Zarkovic. Le Président de la République, Boris Tadic, a demandé instamment à Vojislav Kostunica de dire clairement qu'il n'accepterait pas de gouverner avec le Parti radical, ce que le Premier ministre s'est jusqu'à maintenant refusé à faire. « La composition du nouveau gouvernement fera l'objet de discussion après les élections » a-t-il affirmé. « Vojislav Kostunica ne répond pas à Boris Tadic parce qu'il est malhonnête et qu'il triche avec les électeurs qui vont voter pour le Parti démocratique de Serbie en croyant à ses promesses de protéger les intérêts de l'Etat de Serbie » affirme Dragan Todorovic, président du comité exécutif du Parti radical. Le Premier ministre a clairement déclaré qu'il souhaitait rester à son poste dans le cas où sa formation gouvernerait avec le Parti démocrate, la formation est toutefois fermement opposée à cette idée. Selon les analystes politiques, l'avenir de Vojislav Kostunica dépend principalement de la décision qui sera prise par la communauté internationale sur le statut du Kosovo.
Signe d'espoir : un grand nombre d'analystes politiques attestent d'un affaiblissement des ultranationalistes en Serbie. Pour beaucoup d'entre eux, la population, qui apprécie les progrès économiques réalisés ces dernières années, est majoritaire à croire que l'avenir du pays est au sein de l'Europe et que la Serbie a sa place au sein des nations démocratiques et développées et à considérer la guerre comme révolue.
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