Budget et Fiscalité
Natalie Colin-Oesterlé
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L'Union européenne est souvent accusée d'être la grande naïve de la mondialisation, imposant les normes les plus élevées à ses entreprises mais important des marchandises en provenance d'Etats tiers ne les respectant pas.
La fin de la naïveté européenne ?
Depuis quelques années, le paradigme est en train de changer : mise en place d'une taxe carbone aux frontières, feuille de route énergétique pour mettre fin à notre dépendance aux énergies fossiles russes (REPowerEU), ou encore prémisses d'une préférence européenne dans les domaines de la défense et du spatial. Si cette métamorphose est bien réelle dans certains secteurs, il en est d'autres où l'Union européenne choisit le chemin opposé. C'est malheureusement le cas en ce qui concerne l'industrie automobile. Après quelques rebondissements de dernière minute, le Conseil a formellement adopté, le 28 mars dernier, les nouvelles normes d'émissions de CO2 des voitures et camionnettes neuves. Dès 2035, seuls les véhicules neufs pour particuliers et utilitaires 100% électriques et ceux animés par une pile à hydrogène pourront être vendus sur le marché européen. Essence, diesel, E85, GPL, GNV et hybrides, même rechargeables, seront interdits à la vente. Cette décision aura un impact majeur sur une industrie qui génère 12,5 millions d'emplois en Europe, dont près de 400 000 emplois directs en France.
Une décision politique dogmatique.
Il ne s'agit en aucun cas ici de s'opposer au développement de la voiture électrique qui est, à ce stade, le meilleur moyen de décarboner la mobilité individuelle du quotidien, mais de poser les bonnes questions. A l'instar de mon groupe politique, le PPE, je défendais une position équilibrée, à savoir abaisser l'objectif de diminution des émissions du secteur automobile de 100% à 90% à l'horizon 2035. Cette position répondait d'abord à un impératif d'honnêteté intellectuelle : le "zéro émission" n'existe pas. Toute production industrielle pollue. Il ne faut pas s'attarder uniquement sur les émissions du pot d'échappement, mais bien sur l'ensemble du cycle de vie des véhicules. En 2021, par exemple, 80% de l'électricité polonaise provenait du charbon, alourdissant ainsi considérablement le bilan carbone des voitures électriques du pays. Ensuite, cela aurait permis aux constructeurs de commercialiser une part de véhicules thermiques, dont les hybrides rechargeables que nous connaissons actuellement. Grâce à cette marge de manœuvre, ils auraient pu poursuivre les investissements de R&D pour les véhicules thermiques et nous présenter d'éventuelles futures alternatives à l'électrification totale des véhicules. En se focalisant uniquement sur la voiture électrique, l'Union européenne a choisi une autre voie : celle de faire fi de la neutralité technologique. Des dizaines de milliards d'euros sont désormais investis dans une unique technologie par nos industriels. Il n'y aura pas de retour en arrière possible. Pourtant, de nombreuses interrogations persistent.
Ne pas obérer l'avenir
La première interrogation concerne l'impact concret d'une décision si radicale dans le quotidien de nos concitoyens, et notamment sur leur pouvoir d'achat. A ce jour, une voiture électrique coûte en moyenne 50% de plus que son équivalent thermique. Certains nous disent que les prix baisseront avec l'augmentation des ventes, puis se contredisent aussitôt en affirmant que la transition écologique n'est pas compatible avec le modèle de la voiture individuelle. Comment les prix pourraient-ils baisser si l'objectif ultime est de vendre moins de voitures ? La réalité est la suivante : une telle décision met fin au modèle de la voiture individuelle en excluant une partie de la population en raison d'une augmentation des prix. Une alternative plus équitable existait pourtant : celle d'inciter à l'utilisation des transports publics et au covoiturage. Pire encore, le texte adopté contient une dérogation pour les voitures de luxe. Les constructeurs "de niche" ou ceux produisant moins de 10.000 véhicules par an (voitures de luxe) ne seront pas soumis aux mêmes exigences que les autres constructeurs. En cette période d'inflation, les mêmes qui soutiennent ces mesures nous expliquent qu'il faut soutenir les ménages les plus modestes : cherchez l'erreur ! Autoriser uniquement la vente de véhicules neufs électriques en 2035, c'est aussi retarder l'achat d'un véhicule neuf pour de nombreux ménages qui n'auront pas les moyens d'investir dans l'électrique d'ici là. Conséquence ? Le parc automobile sera plus vieux et donc plus polluant. La liberté de mobilité est un des fondements de nos démocraties. Priver une partie de nos concitoyens de cette liberté est, à la fois, dangereux et injuste. Lorsque la protestation viendra, ceux qui ont soutenu l'interdiction de vente des voitures thermiques accuseront certainement l'Europe de tous les maux. Pourtant, c'est bien eux qui auront fait le choix d'opposer transition écologique et pouvoir d'achat.
Réduire les dépendances.
Aucune batterie n'est actuellement produite sans au moins un élément provenant de Chine. Lorsque l'on parle de souveraineté, le 100% électrique devrait nous faire bondir. Depuis des décennies, nous nous sommes rendus dépendants du gaz russe et du pétrole du Moyen-Orient, et nous sommes en passe de reproduire la même erreur avec les batteries. Avant de nous enfermer dans une seule voie, il aurait fallu que l'Union européenne puisse s'assurer de produire sur son sol et de disposer de plusieurs fournisseurs. Sur ce sujet, il est vrai que l'Union européenne s'active. Deux grandes propositions législatives sont actuellement en discussion : l'une sur les matières premières critiques qui se concentre sur la sécurité de l'approvisionnement, et l'autre relative à une industrie à zéro émission nette qui cherche à développer la production de technologies propres en Europe, dont les batteries. Mais n'aurait-il pas fallu d'abord assurer notre approvisionnement en matières premières critiques et construire nos capacités de production de batteries avant d'imposer le 100% électrique pour les voitures ? Pour faire fonctionner un parc automobile 100% électrique, il est nécessaire de produire de l'électricité. Selon RTE, la production d'électricité décarbonée (renouvelables et nucléaire) devra atteindre 615 TWh par an en France en 2035, contre 522 en 2021 ou 445 en 2022 pour faire face à la hausse de la demande engendrée par la transition écologique, dont le développement des voitures électriques. Cette hausse de la production correspond à une quinzaine de réacteurs nucléaires de 900 MW supplémentaires. Bien entendu, le nucléaire pourra être complété par des capacités renouvelables, comme l'éolien, l'éolien offshore et le photovoltaïque. De nombreux projets sont d'ailleurs à l'étude ou en cours de construction en France. Et si un pays qui y est traditionnellement opposé comme l'Italie semble se tourner vers cette source d'énergie, notons cependant que beaucoup de pays européens ont fait le choix de sortir du nucléaire, comme la Belgique ou l'Allemagne. En janvier 2023, le gouvernement d'outre-Rhin a annoncé sa volonté de doubler sa capacité de production électrique au gaz d'ici 2030. Les voitures électriques du pays de l'automobile rouleront donc avec de l'électricité produite à partir ... de combustibles fossiles en provenance d'Etat tiers !!
Quelle autonomie ?
Autre prérequis indispensable au fonctionnement d'un parc automobile 100% électrique : l'installation de bornes de recharge en nombre suffisant et de manière coordonnée entre les 27 Etats membres de l'Union européenne. Alors qu'il y a actuellement 100 000 bornes en France, avec l'objectif d'en avoir 400 000 avant 2030, il en faudrait 1 million de plus dès 2030. Rien que sur une seule station-service, il faudrait compter environ 70 bornes ultra-rapides pour égaler le débit actuel. Autre inconnue majeure : comment les capacités de recharge seront-elles organisées dans les garages partagés des immeubles ? Est-il possible d'installer des bornes en nombre suffisant dans tous les immeubles de l'Union européenne ? La législation européenne en cours d'adoption prévoit que des bornes de recharge soient installées tous les 60 kilomètres sur le réseau transeuropéen de transports (RTE-T - axes centraux) d'ici à 2025 et sur tout le réseau d'ici 2030. Ces objectifs sont ambitieux. Il est donc légitime de se demander une nouvelle fois s'il n'aurait pas fallu conditionner le passage au 100% électrique à la réalité du développement des bornes de recharge...
Haro sur les collectivités locales.
Peu fière de son succès au regard des voitures, la Commission européenne a publié une proposition équivalente pour les camions, cars et bus urbains, le 14 février dernier. Si elle a choisi de ne pas imposer le 100% électrique aux cars et aux camions, les bus urbains commercialisés à partir de 2030 devront être "zéro émission". Là encore, la charrue est mise avant les bœufs : les collectivités locales auront-elles les moyens financiers d'acheter des véhicules électriques deux fois plus chers que leurs équivalents fonctionnant au biogaz ? Les dépôts et infrastructures de recharge seront-ils adaptés à temps ? Est-il légitime d'imposer les mêmes obligations à des collectivités comptant plusieurs millions d'habitants qu'à des agglomérations rurales ? Le risque est grand : plutôt que de développer les transports en commun en augmentant les fréquences de passage et les lieux desservis, les collectivités pourraient être amenées à supprimer des lignes pour financer l'achat de véhicules électriques. A l'arrivée, les citoyens risquent d'être contraints de se servir davantage de leurs voitures plutôt que d'être incités à prendre les transports en commun.
La schizophrénie "Euro VII".
En novembre 2022 la Commission européenne a publié sa proposition visant à réduire la pollution atmosphérique causée par les nouveaux véhicules à moteur vendus dans l'Union européenne. Ce sont les normes "Euro 7". Le renforcement de ces normes suit notamment l'affaire Volkswagen liée au scandale du Dieselgate, qui a vu les constructeurs automobiles tricher sur les déclarations relatives aux émissions réelles de leurs véhicules. En résumé, il s'agit de mettre à jour les limites d'émissions polluantes, de réglementer les émissions des freins et des pneumatiques, de veiller à ce que les voitures neuves restent propres plus longtemps, ou encore de fixer des exigences en matière de durabilité des batteries. Tous ces objectifs sont louables mais il est paradoxal de présenter un texte qui préserve la neutralité technologique, c'est-à-dire qui s'applique à tous les véhicules quel que soit le "carburant" utilisé, au moment même où le 100% électrique est imposé. Il est donc demandé à l'industrie européenne d'investir en parallèle dans le développement de véhicules électriques et dans l'amélioration des moteurs thermiques qui seront interdits à la vente en 2035. Une nouvelle fois, la compétitivité de la filière et le pouvoir d'achat des citoyens européens sont menacés.
La charrue avant les bœufs.
Le 28 mars dernier, l'interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs à l'horizon 2035 sur notre continent a été actée définitivement. Il s'agit d'une décision plus dogmatique que raisonnée qui joue aux apprentis sorciers avec les emplois et le pouvoir d'achat de nos concitoyens, avec la compétitivité et la dépendance de notre industrie, avec la capacité de nos pouvoirs publics à installer suffisamment de capacités de production électrique et de recharge. Cet accord est une erreur historique qui remet en question le leadership du secteur automobile européen et fera le bonheur de ses concurrents chinois. Il aurait été préférable, et bienvenu, avant d'adopter une interdiction, de prévoir plutôt des mesures d'incitation pour que les acteurs industriels soient intéressés aux changements., sans exclusion ou limitation : subventions, déductions fiscales comme le font les Etats-Unis, etc..
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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