Crise budgétaire : comment préserver l'avenir européen ?

Budget et Fiscalité

Alain Lamassoure

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4 octobre 2010

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Alain Lamassoure

Député européen. Président de la Commission spéciale TAXE du Parlement européen.

Crise budgétaire : comment préserver l'avenir européen ?

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Deux douzaines de pays européens sont sortis des critères du pacte de stabilité et de croissance. Plusieurs d'entre eux ont un déficit supérieur à 10% du PIB, d'autres un endettement public dépassant les 100%. Dans toute l'Union, toutes les collectivités publiques ont lancé des plans d'économies sans précédent depuis la dernière guerre. Dans une telle situation, comment sera-t-il possible de financer les politiques européennes dont l'Union a besoin, les compétences nouvelles que lui donne le traité de Lisbonne et, au-delà, les ambitions communes adoptées en juillet dernier par le Conseil européen sous le nom d' " Europe 2020 ? "

Cette situation inédite doit nous donner l'occasion d'ouvrir la question jamais débattue des relations entre les budgets nationaux et le budget européen. Quelles en sont les principales données ?

 

1. Le gel du budget communautaire et ses conséquences.

 

Le financement des politiques européennes est dans l'impasse. Faute d'avoir donné à l'Union de véritables ressources propres, comme le prévoient pourtant tous les traités européens, les Etats membres se sont condamnés à être ses seuls contribuables : ce sont les budgets nationaux qui financent le budget européen à plus de 80%. Anti-communautaire par essence, ce système incite évidemment chaque ministre des Finances à exiger le " juste retour " de sa cotisation. Le résultat est que plus de vingt ans après un accord politique qui fixait le plafond du budget européen à 1,24% du PIB de l'Union, en dépit de quatre nouveaux traités, qui ont accru considérablement les compétences de l'Union, et de trois vagues d'élargissement, qui ont doublé le nombre de ses membres " pauvres ", ce budget reste gelé à 1% du PIB.

De leur côté, les parlements nationaux ont de plus en plus de mal à comprendre pourquoi ils devraient augmenter leurs impôts, ou accroître l'endettement du pays, pour financer des politiques décidées ailleurs et sans leur consentement.

Or, c'est précisément le moment où l'Europe ne peut plus s'en tenir au régime minceur.

Conformément au traité de Lisbonne, se met en place un service diplomatique européen, qui sera placé sous l'autorité de Lady Ashton, en vue de conduire une politique commune : il y faudra un minimum de crédits de fonctionnement et de crédits opérationnels.

Le traité accroît également les compétences de l'Union en matière d'énergie, de recherche, de politique spatiale, d'immigration : sans argent, autant arrêter tout de suite. Il y a plus grave : des programmes industriels majeurs essentiels, décidés depuis plusieurs années, comme le réseau de satellites Galileo (le GPS européen) et le centre mondial de recherche sur l'énergie de fusion, ITER, risquent de s'interrompre faute de financements complémentaires. Le projet " Europe 2020 " prévoit plusieurs autres programmes de ce genre, au nom de la croissance verte et de l'économie de la connaissance.

 

Et pourtant, face à la crise, les gouvernements trouvent les moyens de financer de nouvelles politiques décidées au niveau européen.

En début d'année, le Conseil européen a décidé de consacrer la bagatelle de 2,4 milliards € par an, dès 2010, à aider les pays en développement à lutter contre l'effet de serre. Cette somme sera réunie par une contribution de chaque Etat membre, selon une clef de répartition ad hoc, différente de la clef communautaire habituelle.

De la même manière, l'aide à la Grèce décidée en mai par les Etats de la zone euro sera financée par des prêts accordés par certains d'entre eux (la Slovaquie s'est désolidarisée), sans passer, ni par le budget communautaire, ni même par l'intermédiaire d'une institution financière communautaire comme la BEI.

En septembre, au Sommet de l'ONU sur l'aide au développement, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a annoncé une augmentation de la part de l'Union européenne de 1 milliard €, à prélever en principe sur des crédits non utilisés du Fonds européen de développement.

On comprend l'argument : puisque, de toute façon, c'est le contribuable national qui paiera, ou qui viendra en garantie, pourquoi passer par l'intermédiaire du budget de l'Union ? Or, il y a un moyen très simple d'éviter de solliciter les budgets nationaux, c'est de donner à l'Europe de nouvelles ressources propres.

Sur ce sujet jugé longtemps tabou, la résolution adoptée le 29 mars 2007 par le Parlement européen a dressé un premier état des lieux et lancé un appel solennel aux Etats. Depuis, la protection de l'environnement et la prévention des crises financières ont suscité une véritable émulation dans l'imagination fiscale. La France s'est particulièrement illustrée en évoquant, à quelques mois d'intervalle, une taxe carbone interne, une taxe carbone " externe " prélevée à l'importation des pays tiers, une taxe sur les transactions financières, une cotisation obligatoire des banques pour s'assurer contre leurs défauts de paiement, tandis qu'était créée une taxe sur les bonus. Berlin s'est associée à Paris sur l'idée d'une taxe type Tobin, tandis que Londres se joignait au concours rhétorique sur d'autres taxes bancaires. La Commission européenne n'a pas été en reste en publiant, au printemps 2010, une communication relative aux " financements innovants ", qui passait en revue une bonne douzaine de nouvelles ressources possibles, fiscales ou assimilées.

Hélas, toutes ces réflexions ont une limite : ces ressources sont conçues comme devant alimenter, tantôt le budget national, tantôt un hypothétique fonds mondial, mais jamais le budget communautaire, qui reste le trou noir du débat politique européen. A l'heure où ces lignes sont écrites, la Commission européenne annonce une communication écrite plus audacieuse pour la mi-octobre.

   

La décision appartient aux gouvernements. S'ils préfèrent bannir toute dépense nouvelle et tout impôt nouveau dans leur stratégie de sortie de crise, l'Union ne pourra qu'accompagner cette rigueur. Mais s'ils jugent nécessaire de lancer des initiatives budgétaires nouvelles, alors l'Union doit être l'une des parties prenantes.

Car on finit par oublier l'essentiel. Partout, le budget est le véritable instrument de mesure de l'esprit de solidarité. Et le budget européen mesure aussi la confiance que les participants placent en l'aventure commune, l'affectio societatis au sein de la famille. Plafonner son budget, c'est plafonner la confiance en l'Europe, c'est donner un coup d'arrêt à la solidarité entre Européens. Les controverses pénibles sur le principe même d'une aide à la Grèce en ont été, hélas, la triste illustration. Tant qu'un Etat membre devra marchander dans l'urgence, au coup par coup, une aide qui ne peut être décidée qu'à l'unanimité dans toutes ses modalités, les opérateurs financiers auront quelques raisons de mettre en doute la solidarité au sein de l'Union.

 

2. L'intérêt d'une approche commune européennes des budgets nationaux : les " dividendes de l'Europe ".

 

La dimension européenne peut aider les Etats membres à sortir de la crise par le haut pour équilibrer leurs finances et en maximiser l'efficacité. Au fond, il s'agit tout simplement d'appliquer le principe de subsidiarité en matière financière. Chaque fois que l'Union exerce une compétence au lieu et place d'un Etat membre, non seulement cela doit se faire sans charge fiscale nouvelle pour le contribuable, mais cela doit même permettre, toutes choses égales par ailleurs, de réduire les dépenses totales. C'est bien ce que font les grands groupes industriels : on met les services communs en pool pour profiter des économies d'échelle.

Ainsi, il y a deux manières de concevoir le nouveau service d'action extérieure de l'Union. Entre la formule d'un 28e réseau diplomatique et la fusion des 27 réseaux nationaux existants au sein d'un service européen unifié, la gamme des solutions intermédiaires est large : que tous les Etats membres soient représentés à Washington ou Pékin est compréhensible, mais que 4 ambassades de pays européens, plus celle de l'Union, soient présentes au Botswana, c'est au moins 3 de trop. Il en va de même pour les services consulaires, alors que les accords de Schengen et les traités européens posent le principe de la coopération consulaire sans limite entre les Etats membres.

Relativement faibles dans le cas des services diplomatiques et consulaires, les économies peuvent être bien plus substantielles dans d'autres domaines. Soit du fait d'un transfert de compétences d'un même type vers Bruxelles, soit tout simplement par la comparaison systématique des actions des uns et des autres dans le souci d'éviter les doubles emplois.

Ainsi, en matière de recherche, l'Union affecte chaque année des sommes substantielles, autour de 8 milliards €, pour un programme-cadre. Mais il s'y ajoute les dépenses nationales, dont la plus grande partie est décidée dans l'ignorance de ce que font les voisins, avec des duplications et des concurrences inutiles.

Il en va de même pour l'aide au développement : l'addition des budgets nationaux aboutit à une somme dix fois supérieure au budget communautaire, lui-même dupliqué par le budget intergouvernemental du Fonds européen de développement. Sur le terrain, les représentants des Etats membres et ceux des divers services compétents de la Commission s'ignorent et se concurrencent au mépris de la bonne gestion et, plus encore, de la bonne diplomatie. Le temps des vaches maigres ne permet plus ce genre de gaspillage. Pour se limiter à l'exemple du conflit israélo-palestinien, l'Europe est, de très loin, le principal donateur d'aide à la région. A elle seule, l'Union européenne finance la totalité des salaires des fonctionnaires de l'Autorité palestinienne, y compris les enseignants de la bande de Gaza. Si bien que le budget communautaire paye 30 000 fonctionnaires européens – ceux des institutions communautaires, basées à Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg – et ... 80 000 fonctionnaires palestiniens ! S'y ajoutent d'importantes aides directes de tous les grands pays européens. Pour ce prix, l'Europe n'est même pas présente à la table des négociations, aux côtés du médiateur américain.

Encore plus prometteur est le domaine tabou de la défense. Les risques de double emploi entre l'Union européenne et l'OTAN, sans cesse mis en avant par nos amis américains, devraient faire sourire face aux multiples redondances qui existent entre nos forces nationales. Nos 27 armées ont un total de 1,8 million d'hommes sous l'uniforme – soit 500 000 de plus que les Etats-Unis. Mais moins de 3% des soldats européens sont capables de mener " une action de forte intensité ", comme on dit pudiquement, c'est-à-dire de combattre. La masse budgétaire consacrée aux salaires, supérieure à celle des Etats-Unis, condamne les pays du Vieux Continent à une dépense additionnée quatre fois inférieure à celle des USA en matière de matériel, recherche et développement. Encore cette dépense de préparation de l'avenir est-elle morcelée en 27 budgets.

Voilà vingt ans que la guerre froide est terminée. Nous n'avons profité que très partiellement des " dividendes de la paix ". Il y manque, de ce côté-ci de l'océan Atlantique, les " dividendes de l'Europe ".

 La crise sans précédent de tous nos budgets nationaux est une occasion unique de faire enfin ce que commande le bon sens, ce qu'attendent nos opinions publiques - les sondages montrent que la mise en commun des moyens de défense est plébiscitée partout sur le continent - et ce que conseillent nos militaires eux-mêmes, rompus depuis vingt ans aux exigences de la coopération internationale : se partager les rôles, avec l'OTAN et entre Européens, pour la défense de l'Europe dans le monde d'aujourd'hui.

En cet automne 2010, tous les Etats sabrent dans leurs crédits d'équipement militaires, mais l'Europe compte toujours trois programmes redondants d'avions de combat, quatre modèles différents de porte-aéronefs, six programmes concurrents de sous-marins, une dizaine de concepts d'équipement nouveau du fantassin, une vingtaine de projets de véhicules blindés, et elle étudie autant de projets de drones que l'Europe compte de sociétés capables de fabriquer des cellules, des moteurs ou de l'électronique aérienne. Comment justifier, en 2010, cet empilement de moyens hétéroclites, parfois modernes, souvent désuets, toujours redondants, dont le coût est disproportionné par rapport à l'efficacité potentielle que, d'ailleurs, on ne mesurera jamais ? Le théâtre afghan est une cruelle illustration en vraie grandeur des capacités militaires comparées de tous les membres de l'OTAN. Seule, une vraie coopération européenne peut nous permettre d'économiser sensiblement sur la défense sans compromettre notre sécurité.

 

3. La grande complexité du financement des politiques européennes.

 

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le budget de l'Union est loin d'être le seul instrument permettant de financer les politiques européennes et, au-delà, les actions liées à des objectifs communs européens. En fait, il n'y a pas moins de 7 catégories de sources, obéissant chacune à des règles différentes.

3.1. Le budget européen proprement dit.

Depuis le traité de Lisbonne, il est adopté par accord entre le Conseil et le Parlement, selon une procédure particulière de codécision. En 2010, il se monte à 123 milliards €, soit l'équivalent du budget d'un pays européen moyen. Depuis 1988, le budget annuel est enserré dans un cadre pluriannuel qui plafonne les dépenses en 5 catégories. Le cadre en cours porte sur les années 2007-2013.

3.2. Le, Fonds européen de développement (FED)

Il finance l'aide spécifique aux pays dits ACP – Afrique, Caraïbe-Pacifique -, acronyme courtois pour désigner les anciennes colonies des pays européens. Complémentaire de l'aide bien supérieure accordée par le budget communautaire, le FED est un fonds interétatique, mais il est géré sous un contrôle politique assez étroit du Parlement européen. Tout le monde convient qu'à terme il a vocation à rejoindre le budget communautaire, mais chaque présidence tournante successive y renonce vite: la clef de répartition du financement entre les Etats membres est différente de la clef communautaire, et sa renégociation n'est envisageable que dans le cadre d'une refonte globale des finances européennes.

Les gouvernements sont tentés de reproduire ce type de formule ad hoc : ils y ont recouru, presque en catimini, pour financer l'aide promise par l'Union aux pays en développement afin de lutter contre l'effet de serre. Mais, à la différence du FED, pour l'instant il ne s'agit pas d'un fonds doté d'un statut, de règles de fonctionnement, ni d'un contrôle démocratique. Les gouvernements se sont simplement mis d'accord sur le principe et le montant de l'aide, et sa répartition entre les Etats membres, sans recourir au budget communautaire.

3.3. Les contributions officielles des Etats membres au financement de politiques ou d'institutions européennes.

C'est une rubrique assez vaste et hétérogène. On y trouve à la fois :

- les cofinancements nationaux des programmes communautaires qui les requièrent : fonds structurels, politique de cohésion, programme-cadre recherche notamment ;

- les financements nationaux complétant des programmes communautaires ou complétés par eux : les financements des programmes spatiaux de l'Agence spatiale européenne, qui a un statut original, et ceux du fonctionnement d'une majorité des agences européennes de statut communautaire en sont des illustrations ;

- les dépenses engagées par les Etats pour des actions parallèles à celles de l'Union sont une variante de cette catégorie : ainsi pour les opérations de maintien de la paix, dont les dépenses civiles sont prises en charge par le budget européen, selon des procédures appropriées, alors que chaque Etat garde la responsabilité de ses dépenses militaires opérationnelles. Les Etats qui acceptent de participer à de telles opérations payent deux fois (sur leur budget national et dans leur participation au budget commun), à quoi s'ajoutent les pertes humaines : c'est un domaine où il existe une marge de progression dans la solidarité communautaire... ;

- les coopérations renforcées et les coopérations structurées permanentes prévues par le traité de Lisbonne pourront donner lieu aussi à la recherche de financements dont la répartition devra être débattue entre les participants.

3.4. Les dépenses nationales qui contribuent à la réalisation d'objectifs communs européens.

C'est la catégorie sans doute la plus importante en volume, mais aussi celle qu'il est le plus difficile de cerner de manière précise.

Par "objectifs communs européens", il faut entendre les domaines dans lesquels la compétence juridique et financière reste essentiellement nationale, mais pour lesquels les Etats membres se donnent ensemble les mêmes objectifs : la stratégie de Lisbonne, prolongée en agenda "Europe 2020", le plan énergie-climat, la stratégie de sécurité de l'Union en sont les meilleurs exemples.

Identifier ces dépenses, et les évaluer, est un exercice nécessaire pour deux raisons. D'une part, face aux difficultés extrêmes d'accroître le budget européen, c'est le seul moyen de vérifier que pourront être financés ces objectifs majeurs ; d'autre part, le bon usage de ces fonds pose un problème de contrôle démocratique, donc de coordination entre les parlements nationaux, qui en disposent, et le Parlement européen, chargé de suivre la réalisation des objectifs.

  

3.5. Les dépenses engagées par les Etats membres au profit de citoyens de l'Union venus bénéficier de leurs services publics.

Ce problème radicalement nouveau n'a jamais donné lieu à examen dans un cadre communautaire. Pourtant, il y a déjà cinq ans, l'arrêt Watts de la Cour européenne de Justice a joué le rôle de détonateur : la Cour a contraint le N.H.S., service national de santé britannique, à payer à un hôpital français les frais de chirurgie liés au traitement d'une ressortissante britannique qui n'avait pu obtenir des soins appropriés dans son pays. Cette validation juridictionnelle du " droit au tourisme sanitaire " a une portée telle que les Etats membres ont été contraints d'accepter, avec beaucoup de réserves, de donner par directive un cadre juridique à l'exercice transfrontalier des soins de santé.

Mais le problème ne se limite pas à ce seul domaine : le droit communautaire supprimant désormais les conditions de ressources dont un citoyen européen devait justifier pour séjourner dans un autre Etat membre de l'Union, le partage de la prise en charge de l'aide sociale devra bien être négocié entre les Etats, bilatéralement, multilatéralement, ou au niveau communautaire. Une forme de chambre de compensation sera sans doute nécessaire. Mieux vaut y réfléchir et s'accorder avant d'être débordé par le nombre de cas. Les controverses pénibles engagées à l'été 2010 sur le partage des responsabilités à l'égard du nomadisme des Roms ont commencé à une prise de conscience, disons au moins de l'existence d'un problème.

3.6. Les prêts de la B.E.I.

Ils financent des projets communautaires, souvent en complément de fonds européens. Institution originale, créée par le traité de Rome, mais dont les seuls actionnaires sont les Etats membres, la B.E.I. est un puissant financeur des investissements décidés à Bruxelles. Son rôle ne pourra que s'accroître en période de très basses eaux budgétaires.

3.7. Il existe maintenant une autre catégorie de prêts, consentis par certains Etats membres à d'autres Etats membres en difficulté financière.

Le traité a prévu un mécanisme d'aide de l'Union aux Etats connaissant des difficultés exceptionnelles (article 122). Depuis la crise grecque s'ajoute maintenant la possibilité de prêts publics accordés par certains gouvernements, même à un pays de l'euro, selon une clef de répartition au cas par cas. Les parlements nationaux ont été saisis de la validation juridique et politique de la décision mais, s'agissant de l'exercice de la solidarité européenne et du fonctionnement de la zone euro, leur intervention ne doit pas être exclusive de celle du Parlement européen. Encore un domaine nouveau pour la coopération interparlementaire.

3.8. Nouveaux financements ?

Les temps sont-ils mûrs pour une nouvelle catégorie de financements ? Les tumultes financiers de 2010 ont vu fleurir les propositions d'emprunt européens ou d'eurobonds, les politiques n'étant pas en reste par rapport aux économistes.

Ce vocabulaire recouvre en fait au moins trois idées différentes, du simple accroissement des prêts de la B.E.I. garantis par le budget communautaire, à l'émission, par la Commission, d'obligations européennes garanties par le même budget, en passant par l'émission conjointe d'obligations par certains Etats de la zone euro, avec la garantie des budgets nationaux concernés.

La négociation sur le futur cadre financier pluriannuel d'après 2013 devrait être l'occasion d'ouvrir le débat public sur des formules de ce genre. Avec une justification économique et politique forte : à partir du moment où chaque Etat est obligé de financer sa contribution aux politiques européennes en augmentant son endettement, pourquoi ne pas raccourcir le circuit par un emprunt européen direct, au moins pour tout ce qui concerne des dépenses de recherche et d'investissement ?

 

4. Une proposition pour avancer : la conférence interparlementaire

 

En matière budgétaire, la pratique parlementaire la plus répandue dans la zone euro distingue le débat d'orientation, qui a lieu généralement au printemps, et le vote proprement dit, qui intervient à l'automne. Pourquoi ne pas inviter les parlements nationaux à faire précéder le débat d'orientation propre à chacun par un débat commun ?  Celui-ci se tiendrait par vidéoconférence : chacun se sent plus à l'aise chez soi, et cela permettrait de mobiliser plus facilement la presse nationale.

Le simple fait qu'un tel débat ait lieu aurait trois avantages appréciables.

- le débat devrait évidemment se fonder sur des hypothèses économiques communes : les prévisions relatives aux PIB, aux taux d'intérêt, au cours de l'euro, au prix du baril, etc. devraient être identiques. Ce serait un progrès sensible par rapport à la pratique actuelle, où chacun choisit les prévisions qui facilitent ses choix ;

- l'ouverture du débat national sur les orientations budgétaires par la prise en compte de la dimension européenne et des perspectives de chacun des partenaires serait un rempart non négligeable contre la tentation du repli sur soi ;

- enfin, ce serait évidemment l'occasion de faire le point et de se comparer mutuellement sur la manière dont chacun honore ses engagements européens, qu'il s'agisse du pacte de stabilité et de croissance ou des politiques liées à la stratégie Europe 2020, par exemple, sans autre sanction et sans autre encouragement que ceux du regard des autres.

Une telle proposition peut trouver facilement sa place dans le cadre du " semestre européen ", conçu pour encadrer la nouvelle procédure de gouvernance économique. Mais cela suppose que celle-ci ne se limite pas au simple examen des soldes budgétaires nationaux, et s'étende aussi à la présentation et à la comparaison des grandes rubriques de dépenses. Le recours à ces comparaisons nationales était au cœur de la " stratégie de Lisbonne ". Mais les gouvernements se sont opposés à la publication - autre que confidentielle - des performances individuelles des Etats membres, qui n'aurait pas été flatteuse pour certains amours-propres nationaux. Cette comparaison, ce " benchmarking ", est pourtant un outil essentiel. La mobilisation des parlements est une meilleure garantie de sa large diffusion auprès des médias et des opinions publiques.

Ce genre de débat serait un premier pas vers une remise en ordre de la répartition des financements des politiques européennes entre le budget communautaire, les budgets nationaux et les financements type BEI.

En même temps, ce serait l'occasion de réfléchir à la mise sur pied d'un véritable contrôle démocratique des actions cofinancées. Prenons un cas concret, qui peut se présenter demain à tout moment.

L'Union intervient dans une opération de maintien de la paix. Forte des pouvoirs que lui confère le traité de Lisbonne, la Haute-Représentante coordonne l'action des forces militaires, payées par les Etats volontaires, les moyens de coopération des Etats membres, et ceux des divers services de la Commission impliqués. En cas de besoin, elle peut suspendre les négociations d'aide et même les négociations commerciales engagées par la Commission avec l'une des parties au conflit. L'intervention de l'Union peut désormais être globale. Elle doit donc être contrôlée et jugée en tant que telle. En l'état actuel, ni les parlements nationaux, ni le Parlement européen ne sont en mesure de le faire : chacun est limité à la vision de l'emploi de ses crédits propres. Ainsi, plus de vingt Etats européens ont envoyé des soldats en Afghanistan, mais quel parlement a-t-il vraiment mis en place un contrôle global de l'action politique et militaire de la communauté internationale dans la région ? De ce côté-ci de l'Atlantique, rigoureusement aucun. Chacun se contente de se féliciter du rôle de son contingent national, pour l'y renforcer, l'y maintenir, le réduire ou le retirer unilatéralement, sans s'embarrasser d'une consultation des partenaires européens.

Autre exemple, la multiplication des catastrophes naturelles a conduit la Commission à étudier la création d'une force européenne de protection civile. Là encore, il y aura mélange de moyens nationaux et communautaires : qui contrôlera quoi ?

Et si des Etats lancent une coopération dite " renforcée ", à quelques-uns, dans quelque domaine que ce soit, il faudra bien trouver le moyen de combiner le contrôle des parlements nationaux avec une vision communautaire.

Parlementaires des vingt-sept pays et de l'Union, unissez-vous !

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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