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Analyse

Elections législatives sans enjeu en Biélorussie

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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20 août 2012
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Elections législatives sans enjeu en Biélorussie

PDF | 353 koEn français

Le 23 septembre prochain, les Biélorusses sont appelés aux urnes pour renouveler les 110 membres de la Chambre des représentants, chambre basse du Parlement. Ce scrutin législatif ne sera toutefois qu'un simulacre, la Biélorussie n'ayant pas connu d'élections libres et transparentes depuis près de deux décennies. Ainsi, 103 des 110 membres de la Chambre des représentants sortante sont officiellement indépendants ; en réalité, ils sont aux ordres du "président de la République" Alexandre Loukachenko. Le Parlement biélorusse n'a de toute façon aucun pouvoir réel, les lois relevant toutes de la volonté du chef de l'Etat.

La dernière dictature d'Europe

La Biélorussie vit sous un régime autoritaire dirigé d'une main de fer par Alexandre Loukachenko depuis 1994 qui détient donc tous les pouvoirs et contrôle l'ensemble des institutions, de l'administration et de la société.

Ancien professeur d'idéologie communiste dans l'Armée rouge, commissaire politique chez les garde-frontières, Alexandre Loukachenko devient responsable de sovkhoze en 1987. Elu député du soviet suprême de la Biélorussie soviétique en 1991, il est nommé deux ans plus tard président de la commission parlementaire anti-corruption. Le 20 juillet 1994, à 39 ans, il est élu pour la première fois "président de la République" sur la base d'un programme populiste promettant le remboursement des pertes financières causées par la hausse vertigineuse de l'inflation.

Depuis son accession à la tête de l'Etat, Loukachenko n'a eu de cesse de parvenir à maintenir et étendre son pouvoir sur le pays. Son régime se caractérise par d'incessantes violations des droits de l'Homme et la falsification des élections. Il a mis en place une idéologie d'Etat, enseignée dans les établissements secondaires et supérieurs et dans les entreprises, dans laquelle le libéralisme est défini comme une "idéologie symbole de l'inégalité sociale entre les hommes, du profit et de l'individualisme". L'économie de la Biélorussie, très corrompue, est désormais à bout de souffle. Le déficit commercial est gigantesque, l'inflation atteignait 109% en janvier dernier et le rouble biélorusse a été déprécié de 65% depuis 2011.

Le pays, qui bénéficie de réductions pour ses livraisons de gaz, a récemment reçu la troisième tranche (350 millions €) du prêt de 3 milliards $ qui lui a été accordé la Russie voisine et la Communauté des Etats indépendants (CEI). Moscou est d'ailleurs très intéressé par l'acquisition des fleurons de l'industrie biélorusse. Gazprom a ainsi acquis à la fin de l'année 2011 la compagnie Beltransgaz, une opération qui avait été la condition mise par Moscou pour accorder à Minsk des remises sur le prix du gaz.

Le 31 mai dernier, le président russe Vladimir Poutine (Russie unie, ER) a ainsi réservé à Minsk la première visite à l'étranger de son nouveau mandat.

Le système politique

En Biélorussie, les candidats aux élections, nationales ou locales, sont quasiment toujours des personnes sans aucune expérience politique et désignées par l'administration présidentielle. Les commissions électorales sont traditionnellement composées dans leur très grande majorité de représentants du pouvoir en place. Directeurs d'entreprises publiques, responsables de kolkhozes ou de sovkhozes, militaires, directeurs d'hôpitaux, fonctionnaires, responsables d'administrations locales sont tous liés au régime auquel ils doivent leur poste. Alexandre Loukachenko contrôle les partis politiques, les syndicats, les associations, les médias et l'ensemble des institutions de la société civile.

Le 6 janvier 2012, le pouvoir a renforcé le contrôle sur le réseau Internet. Un Centre opérationnel et analytique (OAC), rattaché à la présidence de la République, a été créé pour surveiller tout contenu avant sa diffusion sur le réseau mondial. Les fournisseurs d'accès doivent obligatoirement s'enregistrer auprès du ministère de la Communication et tout usager surfant d'un cybercafé et utilisant des connexions partagées doit au préalable décliner son identité. Chacune des connexions est conservée et enregistrée durant 1 an. De nouvelles sanctions ont été mises en place, l'accès aux sites étrangers a été restreint (les entreprises biélorusses doivent par exemple utiliser les domaines internet nationaux) et le contrôle des internautes renforcé.

Le Parlement biélorusse est bicaméral. Il comprend la Chambre des représentants (Palata pretsaviteley), qui compte 110 membres élus pour 4 ans au scrutin majoritaire au sein du même nombre de circonscriptions, et le Conseil de la République (Natsioalnoye sobranie), qui regroupe 64 membres, dont 56 sont élus par les soviets de Minsk, et ceux des 6 régions du pays. Les 8 autres membres sont désignés par le "président de la République". Pour les élections à la Chambre des représentants, tout candidat doit obligatoirement être âgé d'au moins 21 ans et recueillir un minimum de 1 000 signatures de soutien pour pouvoir se présenter aux suffrages des électeurs de la circonscription où il souhaite concourir. Toute entreprise comptant au moins 300 salariés et implantée dans la circonscription peut également présenter un candidat. Le parlement biélorusse n'a quasiment aucun pouvoir sinon celui de validation, les propositions de lois émanant toutes du "président de la République".

Sur les 110 membres de la Chambre des représentants, 103 se déclarent indépendants, 6 sont affiliés au Parti communiste (KPB) dirigé par Tatiana Holubeva et le dernier au Parti agrarien (APB) de Mikhail Shimanski. Ces deux derniers partis politiques sont sous la coupe d'Alexandre Loukachenko.

Source : Wolfram Nordsieck

Favorable au "président de la République", le Parti républicain du travail et de la justice (RPPS) de Vasil Zadnyaprany sera présent aux élections législatives du 23 septembre prochain. Il se déclare opposé à toute "révolution de couleur" et se bat pour l'introduction d'un système électoral mixte mêlant un mode de scrutin proportionnel à un mode de scrutin majoritaire. Le Parti agrarien de Mikhail Shimanski, le Parti communiste dirigé par Tatiana Holubeva et Belaya Rus (BR), association fondée en 2007 conduite par le ministre de l'Education sortant Alexander Radkov, tous trois pro-Alexandre Loukachenko, présenteront des candidats.

Quelles relations avec l'Union européenne ?

Mis au ban de la communauté internationale pour ses multiples atteintes aux droits de l'Homme, Alexandre Loukachenko est le seul chef d'Etat à être interdit de séjour dans l'Union européenne et aux Etats-Unis, une mesure qui, auparavant, n'avait frappé qu'une seule autre personne : l'ancien président de l'ex-Yougoslavie, Slobodan Milosevic. La Biélorussie, parfois qualifiée de dernière dictature d'Europe, est un pays totalement isolé au plan politique.

Outre le chef de l'Etat, plusieurs de ses représentants officiels sont également interdits de séjour dans l'Union européenne. La liste est régulièrement rallongée et comprend désormais 243 personnes. Le 28 février dernier, Bruxelles a adopté de nouvelles sanctions contre Minsk et décidé de rappeler pour consultation tous ses ambassadeurs dans le pays après la décision du pouvoir biélorusse de renvoyer les ambassadeurs de l'Union européenne. Les Vingt-sept ont également gelé les avoirs du pays et privé de visa 19 magistrats et 2 responsables de police considérés comme responsables de l'arrestation et de la condamnation d'opposants au régime. Le 29 mars dernier, Bruxelles a encore voté des sanctions économiques à l'égard du régime biélorusse et gelé les avoirs de 32 entreprises liées au régime.

Avant cette date, le dernier conflit entre Minsk et Bruxelles datait de 1998. Cette année-là, Alexandre Loukachenko avait expulsé plusieurs ambassadeurs européens et leur homologue américain de leurs résidences situées près de la demeure du "chef de l'Etat" à Drozdy (à proximité de Minsk). La réalisation de travaux dans la résidence présidentielle avait été la raison officielle invoquée pour le renvoi des représentants étrangers. Après cet événement, le "président" biélorusse et 130 responsables du pays avaient été interdits de séjour dans la plupart des Etats de l'Union européenne.

Les Etats-Unis ont fermé leur ambassade à Minsk en 2008 et sont depuis lors représentés depuis par un chargé d'affaires.

Le 15 avril dernier, Andreï Sannikov, "ennemi" du régime, cofondateur du groupe de la Charte 97 et candidat à l'élection présidentielle du 19 décembre 2010 (où il est arrivé en 2e position derrière le chef de l'Etat sortant Alexandre Loukachenko), et son collaborateur Dmitri Bondarenko, leader de l'organisation civique Biélorussie européenne, ont été relâchés par le régime après 9 mois de prison. Le premier avait été condamné à 5 ans de détention et le second à 2 ans.

13 opposants politiques sont toujours sous les verrous dont Ales Bialiatski, président de Vesna, organisation de défense des droits de l'homme, condamné en novembre 2011 à 4,5 ans de prison et incarcéré au centre pénitentiaire de Bobrouisk à 150 km à l'est de Minsk, Dmitri Dachkevitch, président du Front jeune, son adjoint Oleg Lobov et le leader du Parti social-démocrate Narodnaïa Gromada, Nikolaï Statkevitch.

Lors de la dernière élection présidentielle du 19 décembre 2010, 700 personnes, qui manifestaient contre la falsification du scrutin, ont été arrêtées.

Le Parlement européen, qui demande la libération de l'ensemble des prisonniers politiques, a indiqué que "le dialogue entre les Vingt-sept et la Biélorussie ne pourra avancer tant que les prisonniers politiques ne seront pas libérés et rétablis dans leurs droits". Les institutions européennes poursuivent leurs pressions sur Minsk, la ville devant accueillir le championnat du monde de hockey sur glace en 2014.

Le 4 juillet dernier un avion suédois a décollé de Lituanie et largué au-dessus de la Biélorussie des ours en peluche porteurs de messages contre la violation des libertés dans le pays. Alexandre Loukachenko a limogé le chef de la défense aérienne, Dmitri Pakhmelkine, et le patron des garde-frontières, le général Igor Ratchkovski. Deux journalistes ont également été arrêtés après avoir posé pour une photo avec les ours en peluche. En outre, le "président de la République" a expulsé du pays le 3 août l'ambassadeur de Suède à Minsk et plusieurs diplomates. L'ambassadeur Stefan Eriksson, en poste depuis 7 ans, est accusé d'avoir œuvré à "la destruction des relations entre la Biélorussie et la Suède". La Suède est l'un des pays les plus actifs en matière de développement démocratique en Biélorussie. Le ministre des Affaires étrangères suédois Carl Bildt a dans le passé qualifié Alexandre Loukachenko de "petit voyou".

Stockholm a refusé d'agréer le nouvel ambassadeur de Biélorussie et retiré leur permis de séjour à deux diplomates biélorusses invités à quitter le territoire suédois. Minsk a rappelé l'ensemble de son personnel diplomatique et fermé sine die sa chancellerie à Stockholm.

La situation des forces de l'opposition

Pour l'opposition, la véritable question est : faut-il ou non boycotter les élections législatives ? Le sujet divise les partis et les opposants. Le boycott permet certes d'ôter toute légitimité au scrutin mais à l'opposé, la participation au scrutin, même sans aucune chance de succès, est un moyen de faire entendre ses revendications.

Les anciens candidats à l'élection présidentielle Alexandre Kazouline (en 2006), Dmitri Us et Vitali Rimachevski (en 2010), les membres de l'opposition Alexandre Atroschchankaw et Viktor Ivashkevich et le leader syndical Henadz Fyadynich ont signé un appel au boycott. "Ce qui est évident pour nous (la fraude électorale) doit être rendu évident pour la majorité des Biélorusses" ont-ils déclaré. "Les gens ne vont pas aller voter car ils ne croient pas que les élections peuvent changer quoi que ce soit" a souligné le poète Vladimir Nekliaev, président de Dites la vérité, mouvement d'opposition créé le 25 février 2010.

Le Parti civique uni a récemment demandé au gouvernement d'abolir les élections législatives, qualifiées de "pseudo-élections pour un pseudo-parlement" par Anatol Liabedzka. Il réfléchit à la possibilité de boycotter les élections législatives du 23 septembre prochain. Il avait auparavant envisagé de se présenter et de renoncer à sa participation cinq jours avant le vote.

L'opposant le plus légendaire, reconnu sur le plan international, Alexandre Milinkevitch, leader du prix Sakharov du Parlement européen en 2006, se présente dans le district 109 d'Uuruchski. Leader du Mouvement pour la liberté, il a réussi à obtenir les signatures requises "Nous allons tenter de démontrer que l'opposition a des candidats qui sont prêts à gagner les élections" a indiqué Youras Houbarevitch, membre du groupe de soutien d'Alexandre Milinkevitch.http://pyx.by/eng

A un mois du scrutin, une seule certitude : les "élections" législatives biélorusses du 23 septembre prochain seront truquées et, par conséquent, ne seront pas reconnues par les pays occidentaux comme un scrutin libre et transparent.

Elections législatives sans enjeu en Biélorussie

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