Analyse

Gauche et droite au coude-à-coude en Croatie

Élections en Europe

Corinne Deloy

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15 juin 2020
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Gauche et droite au coude-à-coude en Croatie

PDF | 159 koEn français

Le 20 mai dernier, le président de la République de Croatie Zoran Milanovic (Parti social-démocrate, SDP) a convoqué les 3,7 millions d'électeurs croates aux urnes le 5 juillet pour des élections législatives anticipées de six mois (le scrutin était initialement prévu pour décembre), une décision prise par le parti au pouvoir, l'Union démocratique (HDZ) du Premier ministre Andrej Plenkovic, qui entend capitaliser sur la popularité dont jouit le gouvernement pour sa gestion de la pandémie de coronavirus. Les autorités craignent en outre le développement d'une deuxième vague de l'épidémie à l'automne prochain. Elles ont peur que la crise économique qui s'annonce nuise à la popularité actuelle du HDZ.

La Croatie a enregistré son premier cas de Covid-19 à la fin du mois de février. Depuis cette date, un peu plus de 2 247 contaminations ont été détectées et 106 personnes sont mortes.

Le Hrvatski Sabor, chambre unique du Parlement, a été dissous le 18 mai. 105 députés ont voté en faveur, 8 contre et 4 se sont abstenus. L'opposition a donc apporté son soutien à la décision gouvernementale. " Il est évident qu'il est dans l'intérêt de ce gouvernement d'organiser des élections législatives le plus rapidement possible. Chaque mois supplémentaire qui passe, l'insatisfaction des citoyens face à la situation économique (dont le gouvernement n'est pas responsable) s'accroît " a déclaré le président de la République Zoran Milanovic.

La Croatie est dirigée par un gouvernement formé par le HDZ du Premier ministre Andrej Plenkovic allié au Parti populaire-Démocrates libéraux (HNS) du ministre de la Construction et de l'Aménagement du territoire, Predrag Stromar. A l'issue des précédentes élections législatives du 11 septembre 2016, l'indépendant Tihomir Oreskovic avait formé un gouvernement alliant le HDZ à Most-Nezavisnih Lista (Pont-Listes indépendantes) de Bozo Petrov. Andrej Plenkovic est devenu Premier ministre le 19 octobre 2016.

L'année suivante, les 2 partis de la coalition gouvernementale se sont opposés sur la question du maintien de Zdravko Maric (indépendant) au poste de ministre des Finances. L'homme était accusé d'avoir caché des informations concernant la situation financière difficile du conglomérat agro-alimentaire Agrokor, l'une des plus puissantes entreprises croates qui s'est retrouvée dans l'incapacité de payer ses dettes en raison d'une mauvaise gestion et de diverses malversations. L'Etat a alors mis en place un plan de sauvetage de l'entreprise et plusieurs membres de son conseil d'administration ont été inculpés. Le refus du HDZ de limoger Zdravko Maric a conduit au départ de Most-Nezavisnih Lista de la coalition gouvernementale et à la menace d'une motion de censure. Celle ci a été évitée de justesse (75 votes pour, 75 contre et 1 abstention) et le Premier ministre est parvenu à retrouver une majorité en s'alliant de manière inattendue avec le HNS, malgré le départ d'une partie des députés du parti opposés à cette alliance.

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Promocija +, la coalition d'opposition de gauche, Coalition pour un nouveau départ, conduite par le Parti social-démocrate arriverait en tête des élections législatives avec 28,60% des suffrages devant celle emmenée par le parti du Premier ministre Andrej Plenkovic qui recueillerait 26% des voix. Le Mouvement patriotique (Domovinski Pokret, DPMS), parti populiste créé en février dernier par Miroslav Skoro prendrait la 3e place avec 13,5%. Most-Nezavisnih Lista, parti de Bozo Petrov, ne parviendrait pas avec 4,1% à atteindre le seuil de 5% des suffrages obligatoire pour être représenté au Parlement.

L'Union démocratique, quatre années à la tête de la Croatie

Nous avons pris la décision de convoquer des élections anticipées parce que notre gouvernement a réalisé les principaux objectifs qu'il s'était fixés. Un nouveau gouvernement fort d'un nouveau mandat sera capable de faire face aux retombées de la crise sans précédent qui a été causée par le coronavirus " a déclaré le Premier ministre sortant Andrej Plenkovic. Candidat du HDZ dans la première circonscription du pays, il souhaite obtenir de nouveau la confiance des Croates pour mettre en œuvre des mesures destinées à prévenir la crise économique qui s'annonce.

Le HDZ a connu une période difficile fin 2019. Il a en effet perdu l'élection présidentielle des 22 décembre et 5 janvier quand la Présidente sortante Kolinda Grabar-Kitarovic (candidate indépendante soutenue par le HDZ) a été battue par le social-démocrate Zoran Milanovic (52,66% contre 47,34% des suffrages).

Le principal parti de l'opposition (SDP) a alors pris l'avantage sur le HDZ dans les enquêtes d'opinion pour la première fois depuis l'arrivée au pouvoir de ce dernier. Dès le mois de mars, le HDZ reprenait l'avantage, forte de sa gestion de crise, le contexte particulier contribuant à rassembler les Croates derrière leur gouvernement. Six Croates sur dix (61%) estiment d'ailleurs que le pays va dans la bonne direction selon un sondage réalisé par l'institut Ipsos.

La coalition dirigée par Andrej Plenkovic a, au cours des 4 dernières années, augmenté le salaire minimum de 1 150 kuna (HRK), soit 150 € et les pensions de retraite de 12% (15% pour les plus petites) et a assaini les finances publiques (lors des 3 dernières années, Zagreb a enregistré un excédent budgétaire et les performances fiscales du pays ont progressé), ce qui a contribué à améliorer la note attribuée à la Croatie par les agences internationales de notation. Le pays a obtenu le feu vert pour entrer dans l'espace Schengen.

Le secteur public demeure cependant hypertrophique et l'économie croate reste trop dépendante du secteur du tourisme, qui représente près d'un cinquième de son PIB. La crise sanitaire devrait faire chuter le PIB et Zagreb devrait enregistrer une récession de l'ordre de 9,4% en 2020, notamment en raison de l'écroulement du tourisme. En appelant les Croates à renouveler leur parlement de façon anticipée, le gouvernement souhaite donc avoir les mains libres pour permettre à la Croatie d'aborder au mieux la saison touristique estivale en tentant de lever les nombreuses restrictions mises en place pour protéger la population.

Le programme électoral du HDZ se veut une réponse à la pandémie et à la crise sanitaire et économique engendrée par celle-ci. Le parti souhaite que la Croatie devienne autosuffisante dans plusieurs secteurs et notamment dans les domaines de l'agriculture et de l'énergie. Il veut accroître l'efficacité de l'Etat et des entreprises publiques. Il propose d'augmenter le salaire minimum (de 6 713 à 7 600 kuna, soit 1000 €), de réduire le nombre de ministères et de digitaliser au maximum les services publics. Son programme, intitulé Une Croatie en sécurité propose d'investir 10 milliards HRK, soit 1,3 milliard € pour créer 100 000 nouveaux emplois et 3 milliards HRK (400 millions €) pour moderniser le système de santé, de baisser la TVA de 24% à 20%. Il promet d'offrir 130 000 kuna (17 000 €) à chaque jeune qui souhaite fonder son entreprise, de doubler les allocations versées aux familles avec enfants, de réguler le travail le dimanche et d'aider les jeunes familles à accéder à la propriété.

Le HDZ se présente en coalition avec les mêmes partenaires que lors du précédent scrutin du 11 septembre 2016. Il répète qu'il ne formera en aucun cas un gouvernement d'alliance avec le Parti social-démocrate ou encore avec le Mouvement patriotique (Domovinski Pokret, DPMS), parti populiste de droite dirigé par Miroslav Skoro. Le chef du gouvernement aime à dire qu'il voit en Miroslav Skoro, qu'il accuse d'avoir " aider " Zoran Milanovic à remporter l'élection présidentielle des 22 décembre 2019 et 5 janvier 2020, un soutien des sociaux-démocrates.

Les partis de l'opposition

En janvier dernier, le Parti social-démocrate prenait donc l'avantage sur l'Union démocratique dans les enquêtes d'opinion et Zoran Milanovic était élu à la tête de l'Etat.

Le 5 mai, les sociaux-démocrates ont formé une coalition avec le Parti paysan (HSS) emmené par Kreso Beljak, le Parti des retraités (HSU) de Silvano Hrelja, le Parti de l'engagement civique et du peuple (Snaga) dirigé par Goran Aleksic et l'Alliance civique libérale (GLAS) d'Anka Mrak Taritas en vue du scrutin du 5 juillet. Cette alliance a pris le nom de Coalition pour un nouveau départ. L'Assemblée démocratique d'Istrie (IDS) dirigée par Boris Miletic vient de rejoindre cette coalition.

Le programme du SDP comprend six points principaux ; une hausse du salaire minimum (et une augmentation du revenu exempté d'impôts de 4 000 à 5 000 kuna (660 €) ; une réduction de la TVA dans les secteurs du tourisme et de la restauration ; une réduction du nombre de ministères mais aussi du nombre de municipalités par le vote d'une loi sur l'aménagement du territoire ; la digitalisation des services administratifs ; une réforme du système de santé et le retour de la taxe appelée USKOK qui porte sur la fraude et l'évasion fiscales. Le SDP a promis, en cas de victoire, de voter une loi sur la reconstruction de la partie de Zagreb qui a souffert du tremblement de terre du 22 mars dernier. La moitié des travaux seraient financés par l'Etat, 30% par la municipalité et les 20% restants seraient payés par les propriétaires des immeubles endommagés.

Enfin, la coalition de gauche se bat pour l'amélioration de la lutte contre la corruption. Le président du SDP, Davor Bernardic, a qualifié le 15 mai la coalition dirigée par Andrej Plenkovic de " gouvernement le plus corrompu de l'histoire de la Croatie " rappelant que onze de ses ministres sont suspectés de corruption. Le SDP affirme qu'il ne fera pas d'alliance avec Most-Nezavisnih Lista (Pont-Listes indépendantes), ce parti " appartenant à l'extrême droite " selon Davor Bernardic.

Les autres partis en lice

Comme beaucoup de ses voisins européens, la Croatie doit désormais compter avec un parti populiste. Miroslav Skoro, ancien chanteur arrivé en 3e position lors du 1er tour de l'élection présidentielle du 22 décembre 2019, a créé fin février son parti, le Mouvement patriotique (Domovinski Pokret, DPMS). Il a choisi de s'unir pour le scrutin législatif avec la Coalition des souverainistes (alliance formée pour les élections européennes du 26 mai 2019 par le Parti conservateur (HKS), la Croissance (Hrast), le Parti des droits-Dr Ante Starcevic (HSP-AS) et les Patriotes unis (UHD)) et avec le Bloc pour la Croatie.

La coalition de Miroslav Skoro souhaite changer la loi électorale, " décommuniser " le pays et réduire les impôts, notamment la TVA. Elle refuse l'adoption de l'euro. Miroslav Skoro se veut comme une voie alternative à celle proposée par le HDZ et le SDP.

Most-Nezavisnih Lista (Pont-Listes indépendantes) se bat pour sa survie. Selon les enquêtes d'opinion, le parti n'est pas assuré d'atteindre le seuil de 5% des suffrages obligatoire pour être représenté au parlement.

Enfin, Zivi zid (Bouclier humain, ZZ) de Ivan Vilibor Sinicic a formé une coalition avec Changeons la Croatie (Promijenimu Hrvatsku, PH), parti conduit par Ivan Lovrinovic. Les 2 partis se positionnent au centre de l'échiquier politique et ont déclaré qu'en cas de victoire le 5 juillet, leur première action serait de modifier la loi électorale de façon à ce que les " petits " partis soient mieux représentés au Parlement.

Le système politique croate

Le parlement est monocaméral depuis 2001, année de la suppression de la Chambre des comitats. Le Hrvatski Sabor compte environ 150 députés. Leur nombre varie en effet selon les législatures ; il ne peut cependant être inférieur à 100 ou supérieur à 160. Les députés sont élus tous les 4 ans au scrutin proportionnel au sein de 10 circonscriptions, chacune d'entre elles élisant 14 personnes.

La 11e circonscription qui rassemble les Croates vivant à l'étranger (et qui possèdent une résidence dans le pays) a élu 3 députés lors des dernières élections législatives du 11 septembre 2016. La 12e circonscription recouvre l'ensemble du pays et désigne les députés représentant les 22 minorités nationales reconnues par le gouvernement: 3 sièges pour les Serbes, 1 pour les Italiens, 1 pour les Hongrois, 1 pour les Tchèques et les Slovaques, 1 pour les Albanais, les Bosniens, les Macédoniens, les Monténégrins et les Slovènes et 1 pour les Autrichiens, les Bulgares, les Allemands, les Juifs, les Polonais, les Roms, les Roumains, les Russes, les Ruthènes, les Ukrainiens et les Valaques, soit 8 au total.

La nationalité des électeurs des minorités nationales est enregistrée à leur naissance sur déclaration de leurs parents mais elle peut être modifiée par la suite, et ce jusque deux semaines avant les élections législatives. Les électeurs des minorités choisissent à leur entrée dans leur bureau de vote de prendre part au scrutin en tant que membres de leur minorité, et par conséquent de voter dans la 12e circonscription, ou bien de se prononcer pour les candidats de la circonscription à laquelle est rattachée leur bureau de vote.

Un parti politique doit recueillir au minimum 5% des suffrages pour être représenté au parlement. La distribution des sièges se fait selon la méthode d'Hondt. Les députés sont désignés au scrutin proportionnel plurinominal sur des listes semi-bloquées. Les électeurs peuvent effectuer une forme limitée de vote préférentiel pour un candidat figurant sur la liste pour laquelle ils votent. Cette mesure, introduite en 2015, permet aux candidats ayant recueilli plus de 10% du total des suffrages attribués à leur parti dans leur circonscription d'être placés en tête de liste et de se voir attribué un siège en priorité si leur parti en obtient. Toute liste électorale doit compter un minimum de 40% de femmes parmi ses candidats. Pour être autorisées à participer au scrutin, les listes indépendantes doivent recueillir la signature d'au moins 500 électeurs et les listes représentant les minorités nationales d'un minimum de 100.

Les Croates élisent tous les 5 ans leur président de la République au suffrage universel direct. Le 5 janvier 2020, Zoran Milanovic (SDP) s'est imposé devant la cheffe de l'Etat sortante Kolinda Grabar-Kitarovic.

Rappel des résultats des élections législatives du 11 septembre 2016 en Croatie

Source : https://www.izbori.hr/arhiva-izbora/index.html#/app/parlament-2016

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