Election présidentielle en Estonie, 28 août 2006

Actualité

Corinne Deloy,  

Rodolphe Laffranque

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24 juillet 2006
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Deloy Corinne

Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Laffranque Rodolphe

Rodolphe Laffranque

Les 28 et 29 août prochains, les 101 membres du Riigikogu, Chambre unique du Parlement, sont appelés à élire le successeur d'Arnold Rüütel à la Présidence de la République. Si la fonction de Chef de l'Etat est essentiellement honorifique, elle est également hautement symbolique. Par ailleurs, la proximité des élections législatives (les députés remettront leurs mandats en jeu en mars 2007) rend d'autant plus intéressante l'observation des tractations entre les différentes formations politiques du pays à l'occasion du scrutin présidentiel même si l'instabilité chronique de la scène politique estonienne rend difficile toute anticipation des évolutions partisanes.

le président de la république : modalités d'élection et fonctions

Le Président de la République est, en Estonie, élu au suffrage indirect. Tout citoyen âgé d'au moins quarante ans peut se porter candidat à la fonction suprême. Pour participer au scrutin, tout candidat doit cependant être investi par au moins un cinquième des 101 membres du Riigikogu, soit 21 députés au minimum. L'élection se déroule ensuite au sein du Parlement où seuls les 101 députés sont autorisés à voter. Lors du premier tour de scrutin, le candidat recueillant au moins les deux tiers des suffrages (soit soixante-huit voix) est déclaré élu. Dans le cas où aucun candidat ne parvient à obtenir ce nombre de voix, un deuxième tour de scrutin est organisé, puis un troisième si le deuxième n'a pas non plus permis d'élire le Président de la République. A l'issue de ces trois tours de scrutin, si aucun candidat ne recueille suffisamment de suffrages pour pouvoir accéder à la fonction suprême, le président du Riigikogu convoque alors le collège électoral qui sera chargé d'élire le futur Président de la République.

Le collège électoral rassemble les 101 membres du Parlement et les représentants des conseils municipaux dont le nombre peut varier selon les années en raison des réformes administrativo-territoriales. En 1996, le collège électoral comptait 374 membres (dont 273 représentants locaux) et en 2001, 376 (dont 266 représentants locaux). Il comprend cette année 347 personnes (dont 246 représentants locaux). De nouvelles personnalités peuvent se porter candidates à l'élection devant le collège électoral. Tout candidat obtenant la majorité simple des voix est déclaré élu. Si cette majorité n'est pas atteinte, un deuxième tour de scrutin est organisé le même jour et le candidat recueillant la majorité des suffrages est déclaré élu.

Le 21 septembre 2001, l'actuel Président de la République, Arnold Rüütel, a été élu par le collège électoral avec 186 voix lors du deuxième tour de scrutin. Cinq ans plus tôt, le 20 septembre 1996, Lennart Meri avait été également désigné par le collège électoral lors du deuxième tour de scrutin (196 voix).

Elu pour cinq ans, le Président de la République ne peut remplir plus de deux mandats consécutifs. Chef des forces armées, il représente l'Estonie sur la scène internationale, conclut les traités avec les Etats étrangers, accrédite et reçoit les représentants diplomatiques. Le Président de la République possède également le droit de rédiger des amendements à la Constitution.

Le 22 juin dernier, l'actuel Président de la République, Arnold Rüütel, a fixé le premier tour de l'élection présidentielle au Parlement au 28 août prochain à midi. L'enregistrement des candidats aura lieu du 24 au 26 août. Si le Riigikogu ne parvient pas à élire le futur Président de la République, Toomas Varek, son président, convoquera les 347 membres du collège électoral pour le 23 septembre prochain (enregistrement des candidats entre le 19 et le 21 septembre). Le successeur d'Arnold Rüütel doit en effet être impérativement élu avant le 9 octobre.

L'élection du Président de la République au suffrage universel direct est, en Estonie, un véritable serpent de mer. Envisagée de nombreuses fois durant ces dernières années et plébiscitée par la grande majorité de la population selon toutes les enquêtes d'opinion, la révision de la Constitution obligatoire pour modifier le mode d'élection du Chef de l'Etat a été maintes fois repoussée. L'élection du Président de la République par le peuple figurait pourtant dans le programme de la précédente (2003-2005) coalition gouvernementale formée par Res Publica (Res), le Parti de la réforme (ER) et l'Union du peuple (KE). Res Publica avait souhaité soumettre cette question à référendum le même jour que les dernières élections locales qui se sont déroulées le 16 octobre 2005. Un désaccord sur les modalités des amendements nécessaires à la Constitution pour rendre cette mesure possible a cependant une fois de plus fait échouer ce projet. Le Parti de la réforme avait en effet exprimé le souhait que la modification du mode de scrutin du Chef de l'Etat soit assortie d'une réduction de ses pouvoirs, une proposition contre laquelle se sont élevées les autres formations politiques.

la campagne électorale

En mars dernier, cinq des six formations politiques du Riigikogu -Res Publica, le Parti du centre (EK), le Parti de la réforme, l'Union pour la patrie (I) et le Parti social-démocrate (SDE), l'Union du peuple ayant décidé de ne pas participer à cette opération de sélection des candidats- ont désigné douze personnalités comme candidats potentiels à l'élection par le Parlement du Président de la République. Le 11 mai dernier, cinq de ces candidats (le maire de Tartu, Laine Janes (ER), les députés Liina Tonisson (sans étiquette) et Peeter Tulviste (I), le président d'Eesti Telekom Jaan Mannik (I) et le président du Parlement, Toomas Varek (EK)) ont été éliminés de la course à la candidature. Le 28 juin, le président du Conseil municipal de Tartu, Aadu Must (EK), le ministre de la Population, Paul-Eerik Rummo (ER) et le député Enn Eesma (EK) ont également vu leurs candidatures rejetées. Enfin, le 19 juillet, les parlementaires ont définitivement éliminé Jaak Aavikso, ancien ministre de l'Education et recteur de l'université de Tartu, deuxième ville du pays et capitale intellectuelle de l'Estonie et l'homme d'affaires et ancien ministre des Affaires étrangères Jan Mannitski de la course à la Présidence.

A ce jour, deux candidats restent en lice. Il s'agit de Toomas Hendrik Ilves (SDE), député européen et ancien ministre des Affaires étrangères, et de la vice-présidente du Parlement, Ene Ergma (Res). Les formations du Riigikogu se réuniront de nouveau le 3 août prochain pour annoncer le nom de l'éventuel candidat sur lequel elles se seront mises d'accord.

L'issue du scrutin semble reposer au Parlement dans les mains du Parti du centre dont les voix sont indispensables à l'obtention d'une majorité. La formation compte 20 élus, Res Publica, 25, le Parti de la réforme, 19, l'Union du peuple, 13, l'Union pour la patrie, 7 et le Parti social démocrate, 6. Neuf parlementaires ne sont affiliés à aucun groupe. Sans le Parti du centre, les quatre formations du Riigikogu qui participent à la sélection du candidat ne comptent que 66 voix, soit deux de moins que le nombre nécessaire pour permettre l'élection de leur candidat. Le co-président de l'alliance Res Publica-Union pour la patrie, Taavi Veskimagi, considère cependant que l'élection du futur Président de la République par le Parlement n'est pas impossible, estimant, sans nommer Toomas Hendrik Ilves, que dans une élection à bulletins secrets un candidat représentant de véritables valeurs européennes puisse recueillir le nombre de suffrages requis. Cette opinion n'est cependant pas partagée par les analystes politiques qui s'accordent pour dire qu'un petit nombre de suffrages devraient cependant manquer à Toomas Hendrik Ilves pour être élu par le Parlement à la magistrature suprême les 28 et 29 août prochains.

Le 18 mai dernier, l'actuel Président de la République Arnold Rüütel a annoncé sa décision de se représenter à l'élection présidentielle devant le collège électoral en cas d'échec du vote au Parlement. « Arnold Rüütel sait que qu'il ne pourra obtenir la majorité au Parlement. Mais comme il bénéficie du soutien des zones rurales du pays, il est logique qu'il choisisse d'attendre la convocation du collège électoral » analyse Rainer Kattel, professeur de science politique à l'université technique de la capitale Tallinn. La candidature d'Arnold Rüütel a été entérinée par l'ensemble des 297 membres de son parti lors du congrès de la formation le 19 juin dernier. Le Président a exprimé sa volonté de ne pas participer aux débats pré-électoraux, des propos qui lui ont valu des critiques de la part de l'ensemble de la classe politique comme des journalistes et des analystes politiques. « Les candidats ont le devoir de participer aux débats pré-électoraux pour accroître la confiance des citoyens dans leur futur Président de la République et développer la démocratie dans notre pays » a ainsi déclaré l'ancien ministre des Affaires étrangères Jan Mannitski. « Arnold Rüütel fait preuve d'un manque de respect à l'égard de la Constitution » a souligné Toomas Hendrik Ilves dans un article publié le 8 juin dernier dans le quotidien Eesti Paevaleht. De nombreux commentateurs politiques estiment que l'actuel Président de la République hésite à affronter sur les plateaux de télévision un aussi bon orateur que Toomas Hendrik Ilves.

Le 6 juillet dernier, Villu Reiljan, le leader de l'Union du peuple, formation membre de l'actuelle coalition gouvernementale dirigée par Andrus Ansip (ER) avec le Parti de la réforme et le Parti du centre, a proposé à ce dernier parti de former une alliance en vue de l'élection présidentielle à venir mais également, à plus long terme, dans la perspective des prochaines élections législatives, prévues pour le mois de mars prochain. Le 17 juillet, le Parti du centre a déclaré qu'il acceptait d'ouvrir des négociations avec l'Union du peuple même si la formation a affirmé par la voix de sa secrétaire générale, Kadri Must, qu'elle continuerait à travailler avec le Parti de la réforme, Res Publica, le Parti social-démocrate et l'Union pour la patrie à la recherche d'un candidat de consensus pour l'élection au Parlement. Il y a peu, le leader du Parti du centre, rappelait que les deux formations politiques, la sienne et l'Union du peuple, s'étaient unies lors de la dernière élection présidentielle de 2001 et déclarait « Nous faisons notre possible pour que l'Union du peuple et le Parti du centre forment une nouvelle coalition. Ensemble, nous sommes forts ». Certains analystes politiques considèrent également qu'Edgar Savisaar, qui n'a jamais exclu de se présenter un jour à l'élection présidentielle, privilégie la candidature d'Arnold Rüütel, estimant qu'il serait certainement plus facile de lui succéder d'ici cinq ans que d'affronter un Toomas Hendrik Ilves en quête de réélection.

L'actuel Président de la République, Arnold Rüütel, et l'ancien ministre des Affaires étrangères, Toomas Hendrik Ilves, sont donc les deux candidats les plus sérieux à la magistrature suprême. Les deux hommes possèdent des personnalités très opposées. Agé de 78 ans, le Président de la République sortant a été président du Soviet suprême estonien du temps de l'URSS avant de lutter, dans les années quatre-vingts, pour le retour de son pays à l'indépendance. Député de l'Union du peuple entre 1995 et 2001 puis vice-président du Parlement de 1995 à 1997, Arnold Rüütel, qui ne parle que l'Estonien et le Russe, est particulièrement apprécié des électeurs russophones : 59% d'entre eux déclarent souhaiter qu'il soit réélu à la tête de l'Etat, contre 20% des Estoniens selon l'enquête d'opinion réalisée par l'institut Faktum & Ariko à la mi-juin. Arnold Rüütel est également apprécié des électeurs les plus âgés, les moins diplômés et de ceux vivant dans les zones rurales du pays. Interrogés en mai dernier par l'institut Turu-uuringute AS sur le bilan de sa mandature, sept Estoniens sur dix l'ont déclaré positif (71%, contre 21% qui ont exprimé une opinion contraire). Peu porté sur les affaires internationales, l'actuel Président de la République a cependant de l'avis de tous les analystes politiques joué un rôle important dans l'intégration de l'Estonie à l'OTAN le 29 mars 2004 et dans l'adhésion du pays à l'Union européenne le 1er mai de la même année.

Actuel député européen, Toomas Hendrik Ilves, 52 ans, est né en Suède et a passé une grande partie de sa vie aux Etats-Unis où ses parents s'étaient exilés pour échapper à l'occupation de l'Estonie par les troupes soviétiques en 1940. L'homme possède une solide expérience internationale. Ses adversaires s'appuient d'ailleurs sur sa biographie pour lui reprocher un soi-disant manque de connaissance de l'Estonie. « Toomas Hendrik Ilves ne connaît pas l'Estonie et les Estoniens ne connaissent pas Toomas Hendrik Ilves » a ainsi déclaré le leader de l'Union du peuple, Villu Reiljan. Dans la lettre qu'il a écrite à Edgar Savisaar pour lui proposer une alliance électorale à l'occasion de l'élection présidentielle, Villu Reiljan n'hésite pas à affirmer : « Les Estoniens veulent un Chef de l'Etat qui a partagé avec eux les moments difficiles, qui comprend leurs problèmes et qui est capable de réunir les différentes communautés vivant dans le pays. Ils ne souhaitent pas que le locataire du Kadriorg –résidence du Président de la République- soit suspect de trafics de corruption ou soit à la solde de pays étrangers ». Le candidat du Parti social-démocrate bénéficie du soutien de la moitié des Estoniens (50%) mais de seulement 8% des électeurs russophones (sondage Faktum & Ariko, juin 2006). Selon cette enquête d'opinion, s'ils avaient à se prononcer sur les deux hommes, 36% des Estoniens se prononceraient en faveur de Toomas Hendrik Ilves, contre 33% pour Arnold Rüütel.

Rappel des résultats de l'élection présidentielle du 21 septembre 2001

source : Ambassade d'Estonie à Paris

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