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Corinne Deloy,
Rodolphe Laffranque
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Corinne Deloy

Rodolphe Laffranque
Toomas Hendrik Ilves (Parti social-démocrate, SDE) a été élu Président de la République d'Estonie par le Collège électoral dès le premier tour de scrutin. Le député européen a recueilli 174 des 345 suffrages, contre 162 pour le Chef de l'Etat sortant Arnold Rüütel. Huit membres du collège électoral ont déposé un bulletin blanc et une voix a été déclarée non valable. Les conseils municipaux de Lihula et de Vihula n'ayant pas été capables de désigner leurs représentants, le nombre des Grands électeurs était de 345 au lieu de 347 initialement prévus.
Une victoire « sur le fil du rasoir »
Une nouvelle fois dans l'histoire de la République d'Estonie, la salle de concert Estonia a été le témoin d'un événement majeur de la vie démocratique du pays. Après avoir été, en 1919, le lieu de naissance de la première Constitution et le siège du premier Parlement, elle a accueilli le 23 septembre, pour la troisième fois consécutive depuis 1996, l'assemblée électorale du Président de la République.
A proximité du lieu où se déroulait le vote, des milliers de partisans des deux candidats s'étaient regroupés pour renouer avec la tradition balte dans laquelle la chanson populaire accompagne tous les grands événements que traverse le pays. Les supporters de Toomas Hendrik Ilves, qualifiés « d'héritiers de la révolution chantante des années quatre-vingts », étaient les plus modernes, offrant un concert de rock dans un parking à trente mètres du lieu de l'élection et dans les rues adjacentes. Les partisans du Président de la République sortant, Arnold Rüütel, avaient organisé un concert de chanson populaire. « Même dans les années trente, les Estoniens descendaient dans les rues pour chanter en signe de protestation » rappelle Andres Kasekamp, professeur de science politique de l'université de Tartu.
Alors qu'à l'extérieur, les chants allaient bon train, un profond silence régnait dans la salle de concert pendant que l'un des sept membres de la Commission électorale de la République faisait le décompte des bulletins de vote à haute voix. Au 174e bulletin en faveur de Toomas Hendrik Ilves, les applaudissements ont soudain retenti pour saluer l'élection du troisième Président de la République d'Estonie depuis la restauration de son indépendance (1991).
Ainsi était écarté le risque d'un échec de l'élection présidentielle, cas de figure envisageable si, comme certains l'avaient évoqué, vingt à trente grands électeurs avaient déposé des bulletins blancs dans l'urne. Le Riigikogu, Chambre unique du Parlement, aurait alors eu de nouveau la charge d'élire le Chef de l'Etat dans les quatorze jours suivant l'annonce des résultats négatifs. La République balte est donc passée à coté d'une crise constitutionnelle. Le vice-président du Parti du centre, Ain Seppik, pourtant partisan d'Arnold Rüütel, s'est déclaré heureux, « en tant que démocrate et juriste», que l'Estonie ait un Président de la République légitimement élu.
Jusqu'à la veille du vote, personne ne pouvait dire lequel des deux candidats avait le plus de chance de l'emporter tant le nombre de leurs sympathisants parmi les membres du Collège électoral était parfaitement équilibré. « Il est surprenant que Toomas Hendrik Ilves ait été élu dès le premier tour. Le vent a tourné en sa faveur durant la semaine passée mais personne ne pouvait être sûr que l'on éviterait un second tour de scrutin » a souligné Andres Kasekamp, professeur de science politique de l'université de Tartu. « Les partisans d'Arnold Rüütel semblaient désespérés cette semaine... allant jusqu'à suggérer que les proches de Toomas Hendrik Ilves pourraient créer des incidents sur la voie publique. Edgar Savisaar (le leader du Parti du centre, EK) a tenté de faire naître des tensions, dévoilant ainsi son inquiétude » a ajouté le politologue.
La victoire du candidat du Parti social-démocrate était souhaitée par la majorité des Estoniens. En effet, dans toutes les enquêtes d'opinion, Toomas Hendrik Ilves apparaissait comme le favori de la population. Un sondage, réalisé par l'institut Faktum&Ariko, montrait que 50% des personnes interrogées étaient favorables à son élection, contre 29% qui se déclaraient en faveur d'Arnold Rüütel. Le Président de la République sortant est particulièrement apprécié parmi la population russophone, les Estoniens vivant dans les zones rurales et les personnes disposant de faibles revenus tandis que son adversaire obtient le soutien des Estoniens, des jeunes et des plus diplômés. Interrogé sur ce point, le Premier ministre, Andrus Ansip (Parti de la réforme, ER), a déclaré que « l'important soutien des Estoniens à l'égard de Toomas Hendrik Ilves est essentiel dans la mesure où 90% des Grands électeurs sont des Estoniens ». Cette victoire est donc pour Toomas Hendrik Ilves un véritable succès populaire.
Candidat malheureux, Arnold Rüütel a félicité le nouveau Président en lui offrant un bouquet de fleurs bleues et blanches aux couleurs de l'Estonie. En revanche, les membres de l'Union du peuple (KE) et du Parti du centre, les deux formations qui soutenaient le Président sortant, se sont abstenus de l'imiter. « Je ne suis pas du tout satisfait de ce résultat parce que comme je l'ai répété à plusieurs occasions, je n'ai aucune confiance en cette personne (Toomas Hendrik Ilves), et ce pour de bonnes raisons » a déclaré le leader de l'Union du peuple, Villu Reiljan. Celui-ci a également encouragé Toomas Hendrik Ilves à accomplir en priorité l'une des promesses de sa campagne électorale, à savoir le retour à l'unité de la population. Selon lui, « la campagne a créé une profonde rupture dans la société». « La joie d'aujourd'hui me rappelle la victoire de Res Publica» a souligné le leader du Parti du centre, Edgar Savisaar, ajoutant « Que Dieu nous préserve que les choses se passent avec Toomas Hendrik Ilves comme elles se sont passé avec Res Publica ».
Juste après l'annonce des résultats, Toomas Hendrik Ilves s'est exprimé devant le Collège électoral. Il a remercié tous ceux qui l'ont soutenu ainsi que les grands électeurs dont la décision « reflète la position de la majorité du peuple estonien. » Toomas Hendrik Ilves n'a pas oublié pas de s'adresser au Président sortant : « Je tiens Arnold Rüütel en haute estime pour le travail qu'il a accompli au cours des cinq dernières années. Nos débats de ces derniers jours ont été riches et dignes. Nous avons été capables de dépasser les accusations personnelles et de penser à ce qui est utile pour l'Estonie». Par ailleurs, il a en quelque sorte souhaité voir s'établir le calme après la bataille. « La campagne est maintenant terminée. Il est nécessaire d'aller de l'avant. Il est temps d'apaiser les tensions et de pardonner les mauvaises paroles » a déclaré le nouveau Président de la République. Lors de conférence de presse qu'il a donnée par la suite, Toomas Hendrik Ilves a confié : « Je crois que c'est au moins l'obligation du Président d'être généreux et, en citant Marc Aurèle - la meilleure vengeance est de ne pas devenir comme eux ». Une remarque qui n'a pas été du goût de ses adversaires. «Commencer par de telles petites insultes en citant Marc Aurèle comme « j'essaie de ne pas devenir comme eux », ce n'est pas d'un très bon ton » a souligné Ain Seppik.
Portrait d'un homme « tourné vers l'ouest »
Toomas Hendrik Ilves, 52 ans, est né en Suède et a passé une partie de sa vie sur la côte Est des Etats-Unis (New Jersey) où ses parents s'étaient exilés pour échapper à l'occupation de l'Estonie par les troupes soviétiques en 1940. Juriste de formation, il est diplômé de psychologie de l'université de Columbia (New York City) et de l'université de Pennsylvanie. Il a également vécu à Munich, de 1988 à 1993, période où il a dirigé la section estonienne de Radio Free Europe. En 1993, l'homme renonce à sa nationalité américaine avant de devenir ambassadeur d'Estonie aux Etats-Unis, au Mexique et au Canada durant plusieurs années. En décembre 1996, il devient ministre des Affaires étrangères, poste qu'il occupe jusqu'en septembre 1998. Il est alors élu président du Parti populaire. Il redevient chef de la diplomatie après les élections législatives de mars 1999 et ce jusqu'en 2002. En 2001-2002, il est à la tête du Parti populaire des modérés qu'il quittera après la défaite de la formation aux élections municipales du 20 octobre 2002 (le parti prendra par la suite le nom de Parti social-démocrate). En 2003, Toomas Hendrik Ilves devient membre du Parlement européen, poste auquel il est élu lors des premières élections européennes auxquelles participe son pays le 13 juin 2004 et où le Parti social-démocrate sort largement victorieux (36,79% des suffrages). Il y occupe la fonction la fonction de vice-Président de la Commission des affaires étrangères. Le nouveau Président de la République sera remplacé à Strasbourg par Katrin Saks (SDE).
Toomas Hendrik Ilves possède une solide expérience internationale, parlant couramment, outre le letton, l'anglais, l'allemand et l'espagnol. Ses adversaires, qui le surnomment « l'Américain au nœud papillon », s'appuient d'ailleurs sur sa biographie pour lui reprocher un soi-disant manque de connaissance de l'Estonie. « Toomas Hendrik Ilves ne connaît pas l'Estonie et les Estoniens ne connaissent pas Toomas Hendrik Ilves. Les Estoniens veulent un Chef de l'Etat qui a partagé avec eux les moments difficiles, qui comprend leurs problèmes et qui est capable de réunir les différentes communautés vivant dans le pays. Ils ne souhaitent pas que le locataire de Kadriorg – lieu de la résidence du Président de la République – soit suspect de trafics de corruption ou soit à la solde de pays étrangers » n'hésitait pas à déclarer le leader de l'Union du peuple (KE), Villu Reiljan en juillet dernier.
Dans la conférence de presse donnée après son élection, Toomas Hendrik Ilves a déclaré qu'il souhaitait que l'Estonie soit « davantage au cœur de l'Europe ». « L'Estonie doit faire partie des générateurs d'idée en Europe» a-t-il affirmé. En août dernier, interrogé par un journal estonien, Toomas Hendrik Ilves avait affirmé que s'il était élu à la tête de l'Etat, il travaillerait à une plus grande coopération au sein des « nouveaux membres » de l'Union européenne. « C'est le rôle que j'ai joué au Parlement européen, rallier des forces fragmentées pour mieux coopérer » affirmait-il. « Le Président de la République doit être au-dessus des partis, une personne de verbe et d'action qui doit traiter tous les partis politiques de la même façon » concluant « Le rôle du Président de la République est de s'engager intellectuellement dans le long terme et ne pas se soucier de remporter les prochaines élections. Le Président doit penser par lui-même, inciter les autres à l'action et unir les visions ».
« Toomas Hendrik Ilves représente l'Occident et l'Europe. Les gens veulent davantage que ce qu'Arnold Rüütel était capable de leur offrir. Cette élection présidentielle a été l'occasion d'un clash de générations entre ceux qui ont la tête tournée vers le passé et ceux qui regardent vers l'avenir» confirme Vello Pettai, politologue à l'université de Tartu. « Toomas Hendrik Ilves est perçu comme quelqu'un capable d'apporter la transparence et l'honnêteté dont le pays a besoin, il n'est marqué par aucun scandale ni affaire de corruption » affirme Andres Kasekamp.
Un mode d'élection unanimement critiqué
Les péripéties survenues lors de cette élection présidentielle ont, une fois de plus, remis à l'ordre du jour le débat sur le mode d'élection du Chef de l'Etat. Aucun Président de la République n'a jamais été élu par le Parlement (Arnold Rüütel avait été élu par le collège électoral le 21 septembre 2001, avec 186 voix lors du deuxième tour de scrutin, tout comme Lennart Meri le 20 septembre 1996 avec 196 voix lors du deuxième tour de scrutin). Cette année, l'Union du peuple et le Parti du centre avaient refusé de prendre part au vote au Parlement faisant en sorte que les trois premiers tours de scrutin soient voués à l'échec. Les voix ont été nombreuses à s'élever pour critiquer le système d'élection du Président de la République et exprimer le désir de le voir modifié avant la prochaine échéance de 2011. Mais durant les quinze dernières années, plusieurs propositions et projets de loi visant à réviser la Loi fondamentale ont été déposés au Parlement, sans succès.
Les deux candidats à l'élection devant le Collège électoral ont affirmé leur volonté de voir le système réformé. « Impliquer les Estoniens dans la décision aiderait à réduire la distance entre la population et la classe politique » a déclaré Toomas Hendrik Ilves, ajoutant qu'il se battrait pour introduire un système d'élection au suffrage universel direct. « Le Président de la République doit être élu soit par le Parlement soit par un Collège électoral, mais non par les deux comme c'est le cas. Cela laisse trop de place aux manœuvres politiques. J'espère que le Président de la République ne sera plus jamais élu de cette façon en Estonie » a affirmé Arnold Rüütel. L'ensemble des enquêtes d'opinion témoignent que les Estoniens sont très majoritairement favorables à une élection de leur Président au suffrage universel direct. Il est à noter que la façon dont s'est déroulée cette dernière élection présidentielle a laissé des traces parmi la population, contribuant, selon une enquête d'opinion réalisée par l'institut Faktum&Ariko, à aggraver la méfiance envers la fonction présidentielle elle-même. Les trois quarts des personnes interrogées (72%) considèrent ainsi que l'action et le comportement du Parti du centre et de l'Union du peuple durant ces dernières semaines sont injustifiables. Quelles que soient les modifications à apporter, une prochaine révision de la Constitution semble donc s'imposer.
Toomas Hendrik Ilves est donc devenu le 23 septembre le plus jeune Chef d'Etat européen élu, le plus âgé étant Giorgio Napolitano (81 ans), élu cette année (le 10 mai) en Italie. Le nouveau Président de la République prêtera serment le 9 octobre prochain. En novembre, il recevra George W. Bush pour la première visite d'un Président américain dans le pays. Désormais, les trois Etats baltes sont dirigés par des Présidents de la République qui sont d'anciens émigrés de retour dans leur pays d'origine : Toomas Hendrik Ilves pour l'Estonie, Valdas Adamkus (qui a vécu plus de 50 ans aux Etats-Unis) pour la Lituanie et Vike Vaira-Freiberga (qui a vécu en Allemagne, au Maroc et au Canada) dans la Lettonie voisine.
Enfin, dans la perspective des élections législatives de l'année prochaine, Rein Toomla, politologue à l'université de Tartu, considère particulièrement intéressante l'élection de Toomas Hendrik Ilves à la présidence de la République dans la mesure où, comme il le souligne, « des partis de droite ont élu un Président de gauche ».
Résultat de l'élection présidentielle du 23 septembre en Estonie

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