15/05/2002 - J-7
Le traumatisme du pays tout entier après l'assassinat du leader d'extrême droite Pim Fortuyn
La stupeur le disputait à l'incrédulité lundi soir aux Pays-Bas après l'assassinat de Pim Fortuyn, 54 ans, chef de file de l'extrême-droite aux élections législatives du 17 mai, abattu de plusieurs balles alors qu'il sortait des studios de la radio publique 3FM à Hilversum. Créditée par les sondages de vingt à vingt-cinq sièges sur les cent cinquante que compte la deuxième chambre du Parlement, la formation dont il était le leader semblait également bien placée dans les enquêtes d'opinion pour participer à une future coalition gouvernementale avec le CDA (Chrétiens-démocrates) et le VDD (Libéraux).
« Ceci n'est pas une attaque contre Pim Fortuyn mais une attaque contre la démocratie » a déclaré le Premier ministre Wim Kok réagissant à la mort brutale du leader populiste. « Les Pays-Bas ont perdu leur innocence » a souligné Ad Melkert, leader du PvdA (Parti travailliste, membre de la coalition au pouvoir). Cet événement a profondément choqué tant la classe politique que l'ensemble de la population d'un pays où la recherche du consensus et le dialogue constituent depuis toujours le socle du système politique. « Notre culture politique a toujours été fondée sur l'instauration d'un consensus et la discussion entre les différents partis. Contrairement à l'Allemagne avec la Bande à Baader ou à l'Italie avec les Brigades Rouges, les Pays-Bas n'ont pas connu d'assassinats de personnalités politiques par des groupes extrémistes dans les dernières années » explique Bert Klandermans, professeur en sciences sociales à l'université libre d'Amsterdam. Cet assassinat est si contraire à la culture politique néerlandaise que le dernier en date, celui des frères Cornelis et Johan de Witt, tués par la foule en raison de leur opposition à la famille royale Orange-Nassau, remonte au XVIIème siècle. Aux Pays-Bas, la proximité entre les hommes politiques et leurs électeurs fait partie du patrimoine national et il n'est pas rare de voir dans ce pays où le Premier ministre Wim Kok se déplace sans garde du corps au milieu de la foule, des ministres se rendre à leurs bureaux à bicyclette.
Homosexuel militant, chef politique charismatique, démagogue et arrogant, Pim Fortuyn, contrairement aux autres leaders européens d'extrême droite que sont par exemple Jean-Marie Le Pen ou Jörg Haider, ne se situait pas dans la nostalgie des mouvements fascistes des années trente et quarante. Si le parti qu'il a créé est cependant bien une formation d'extrême droite, c'est « au sens initial du terme extrême, c'est-à-dire le plus éloigné du centre » selon les mots d'un politologue néerlandais. Le leader populiste avait centré sa campagne sur l'immigration, l'insécurité, et l'islam, qualifié par lui de « culture retardée ». Rappelons que c'est aux Pays-Bas qu'ont été recensés, après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le plus grand nombre d'attaques contre des musulmans. Pim Fortuyn se voulait le défenseur des « lumières de la société occidentale » et de la société néerlandaise actuelle, faite de tolérance et de respect de l'autre. Les Pays-Bas, jusqu'ici épargnés par la montée de l'extrême droite, doivent donc pour la première fois de leur histoire faire face à la menace d'un courant populiste structuré. On ne saura cependant jamais si Pim Fortuyn aurait confirmé au niveau national la percée qu'il avait réalisée au niveau local lors des dernières élections municipales du 6 mars en s'imposant comme la première force politique de la deuxième ville du pays, Rotterdam, conquérant 34% des voix et remportant dix-sept des quarante-cinq sièges du conseil municipal.
Après avoir consulté les membres du parti de Pim Fortuyn, le Premier ministre Wim Kok a décidé de maintenir les élections législatives au 15 mai prochain. « Je pense qu'il est important de montrer que la démocratie continue de fonctionner » a-t-il déclaré. Le numéro deux de la liste Pim Fortuyn, un Néerlandais d'origine capverdienne Joao Varela, doit devenir le nouveau chef de file du parti. Il est cependant difficile de savoir quelles seront les conséquences de la disparition brutale du leader d'un parti formé il y a tout juste quelques semaines et qui ne possède ni tradition militante ni enracinement géographique et peu de cadres expérimentés.
Dernières enquêtes d'opinion
Les sondages parus au lendemain des élections municipales du 6 mars créditaient les deux formations politiques situés aux extrêmes de l'échiquier politique, à savoir GroenLinks (la Gauche verte, écologiste de gauche) et la liste Pim Fortuyn (extrême droite) de quarante sièges (vingt-cinq pour la formation d'extrême droite et quinze pour celle d'extrême gauche selon une enquête d'opinion Nipo-2Vandaag) sur les cent cinquante sièges que compte la deuxième chambre. Le PvdA (Parti du travail, social-démocrate) était crédité de trente et un sièges ; le CDA (l'Appel chrétien-démocrate, centre droit) de vingt-neuf ; le VVD (Parti populaire pour la liberté et la démocratie, libéral) de vingt-cinq ; le D'66 (Parti des démocrates 66, libéral de gauche) de sept comme le SP (Parti socialiste, radical progressiste, à la gauche du PvdA), la Christen Unie (l'Union chrétienne, calviniste, résultant de la fusion en janvier 2000 de la RPF, Fédération politique réformée, et de la GPV, l'Alliance politique réformée) de six ; le Leefbaar Nederland (extrême droite) de trois et le SGP (Parti institutionnel réformé, calviniste) de deux. Selon le sondage paru dans le Telegraaf du samedi 27 avril, une coalition de droite regroupant le CDA, le VVD et la liste Pim Fortuyn remporterait soixante-seize sièges et représenterait ainsi une majorité supérieure à une coalition de gauche formée par le PvdA, le CDA et la Gauche Verte, créditée de seulement soixante-neuf sièges. En outre, dans cette enquête, seuls 14% des personnes interrogées se déclarent en faveur d'une nouvelle coalition « violette » (regroupant le PvdA, le VVD et D'66) tandis que 24% se prononcent pour une coalition CDA, VVD et liste Pim Fortuyn. On notera cependant que, selon un sondage Interview-NSS paru dans le Volkskrant du 30 avril, 39% de l'électorat du CDA juge toute association avec la liste Pim Fortuyn inadmissible. La dernière enquête d'opinion réalisée par NIPO/2Vandaag du vivant du leader populiste montrait que l'avance entre son parti et le PvdA se réduisait de plus en plus. Le PvdA était ainsi crédité de trente sièges, le CDA du même nombre, le VDD de vingt-quatre et la liste Pim Fortuyn de vingt-six. Les dernières semaines montrent une chute continue des partis au pouvoir, l'Appel chrétien-démocrate, principal parti d'opposition, restant stable et la liste Pim Fortuyn continuant sa progression. Toutefois, un tiers des électeurs néerlandais s'avouent encore indécis.
La montée des petits partis, la lente révolution du système néerlandais
La percée de Pim Fortuyn aux municipales et son engagement dans la bataille législative a eu pour principale conséquence de brouiller le jeu traditionnel des alliances entre les formations classiques néerlandaises. Car depuis toujours, les gouvernements néerlandais sont le résultat d'alliances entre différents partis. Depuis 1945, cependant, les deux grands partis confessionnel, CDA (chrétien-démocrate) et idéologique, PvdA (travailliste), ont vu leur poids électoral s'effondrer, passant de plus de 50% dans les années cinquante à 18,4% lors des dernières élections de 1998. Ce déclin a tout d'abord profité aux formations libérales (VDD et D'66) ainsi qu'aux formations situées à gauche du PvdA. En se regroupant au sein de la Gauche Verte dans les années quatre-vingts, ces formations sont parvenues à s'imposer sur la scène politique nationale, enregistrant en 1998 leur plus grand succès en obtenant onze sièges à la deuxième chambre avec 7,3% des voix. Aujourd'hui, la Gauche Verte appelle le PvdA à se situer clairement sur l'échiquier politique en se positionnant en faveur de la constitution d'un gouvernement véritablement progressiste. Pour sa part, le VDD a annoncé durant la campagne ne plus souhaiter gouverner avec le PvdA. Par ailleurs, certains envisageaient il y a encore quelques jours l'éventualité d'une coopération entre le CDA, le VDD et la liste Pim Fortuyn, alliance existant d'ores et déjà à la tête de la ville de Rotterdam depuis les élections municipales de mars dernier. S'exprimant sur le sujet, Jan Peter Balkenende, chef de file du CDA et candidat au poste de Premier ministre, répondait dans le Telegraaf de samedi 27 avril : « Nous n'excluons personne, et donc pas non plus Fortuyn. (...) Et certainement pas si la conséquence était que nous serions automatiquement livrés au PvdA ». Balkenende est, selon les derniers sondages, le plus sérieux candidat au poste de Premier ministre, 15% des personnes interrogées s'exprimant en sa faveur, contre 13% qui choisissent le leader du VDD Hans Dijkstal et 9% celui du PvdA Ad Melkert.
La mort de Pim Fortuyn rend toutefois aujourd'hui caduques ces dernières enquêtes d'opinion. Les Pays-Bas sont sous le choc et il reste difficile d'imaginer aussi bien les effets de cet assassinat sur le vote du 15 mai où les analystes politiques pensent qu'il n'est pas impossible que la liste Pim Fortuyn recueille un « vote émotionnel massif » avec des conséquences à plus long terme sur le système politique néerlandais.