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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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Corinne Deloy

Fondation Robert Schuman
À une semaine du premier tour de l'élection présidentielle qui doit avoir lieu le 15 janvier, la compétition reste très ouverte. Ce scrutin sera-t-il décisif et verra-t-il l'élection de Tarja Halonen, Présidente "sortante", favorite incontestée et dont longtemps les sondages d'opinion ont prévu la désignation dès le premier tour ? Ou, au contraire, sera-t-elle mise en "ballottage" et, dans ce cas, est-elle absolument sûre de l'emporter face au candidat unique que le centre et la droite lui opposeront au second tour ? Les sondages -y compris celui publié le 3 décembre dans le quotidien Helsingin Sanomat- ne laissaient pas de place au doute et montraient qu'une fraction (femmes, jeunes, habitants des villes) de l'électorat "bourgeois" (au sens nordique du terme, c'est-à-dire ne se réclamant pas de la gauche et, a fortiori, de l'extrême gauche) se reporterait, pour des raisons variées, sur Mme Halonen.
Depuis le 15 décembre, -" fêtes " et vacances obligeant-, la campagne est progressivement entrée dans une sorte de léthargie et les candidats se sont peu exprimés. Elle n'a véritablement repris qu'en ce début d'année 2006.
De fait, la situation est -au moins en théorie- moins claire qu'annoncée il y a un mois.
Les facteurs d'incertitude
Des questions se posent sur le taux de participation qui pourra être relevé le soir du 15 janvier et surtout sur sa répartition selon les préférences politiques des citoyens. Le risque serait qu'un nombre non négligeable de partisans de Tarja Halonen ne se dérangent pas, misant sur la victoire annoncée de leur candidate, alors que la mobilisation se ferait plus intense, parmi les soutiens de MM. Niinistö, Vanhanen, Kallis et Lax.
Seconde incertitude : bien que formellement investie le 21 octobre par l'Alliance des gauches (VAS), sur proposition de Mme Siimes, sa présidente, fervente admiratrice de Tarja Halonen, il n'est pas impossible que les plus "sectaires" de cette formation classée à l'extrême gauche de l'échiquier mais relativement composite (anciens communistes, féministes, pacifistes, quelques gauchistes, etc.) se mêlent aux abstentionnistes, jugeant la "Présidente sortante" trop consensuelle et trop éloignée de leurs propres idéaux, encore teintés d'un reste de foi révolutionnaire.
Troisième incertitude : même si la candidate social-démocrate bénéficie depuis le printemps 2005 du soutien de la SAK, le plus important syndicat de travailleurs, généralement absent de ce type de bataille, des syndicalistes "purs et durs", adeptes d'une pratique sans concessions de la lutte des classes, risquent en nombre limité, il est vrai, de bouder les urnes.
Une quatrième incertitude concerne la position de l'électorat des Verts. Ceux-ci ont présenté le 23 avril à l'unanimité la députée européenne Heidi Hautala comme candidate. Il s'agit d'une candidature "de témoignage". Heidi Hautala, partisan d'une réduction des pouvoirs du Chef de l'État -réduits à un magistère moral et symbolique- se sent plus "libre" que Tarja Halonen pour soulever certaines questions sensibles : droits de l'Homme en Russie, méfaits de la globalisation, détérioration du sens civique en Finlande et progrès de l'exclusion et de la "violence". Elle se voudrait la "conscience morale" de la gauche. Les sondages du second semestre 2005 montraient qu¹une partie de son "vivier écologiste" lui préférerait, dès le 1er tour, Tarja Halonen, au nom du "vote utile" et aussi parce que cette dernière défendait avec acharnement les droits des femmes, nombreuses parmi le parti Vert. Depuis peu, Heidi Hautala paraît avoir légèrement remonté la pente.
Mais le principal facteur d'incertitude a trait, évidemment, au pourcentage de voix que, le 15 janvier, Tarja Halonen, en raison à la fois de la "prime au sortant" mais aussi de sa forte personnalité, arrachera aux concurrents du centre et de la droite. Si, contrairement à toutes les prévisions, elle ne dépasse pas la majorité absolue des suffrages exprimés, il y aura, plus encore qu'une surprise totale, un risque pour elle pour le second tour, même avec le report prévisible en sa faveur de la majeure partie des suffrages de Heidi Hautala. Un tel "retournement" suppose, toutefois, que les électeurs de MM. Kallis, Lax, Soini et Arto Lahti –personnalité indépendante, universitaire apprécié, qui recueillit les 20 000 "signatures" nécessaires et inscrit, dans son programme, l'adhésion de la Finlande à l'OTAN (point commun avec H. Lax) et la récupération des territoires caréliens annexés par la Russie il y a soixante ans- se prononcent, dans leur immense majorité, pour le "challenger" de Tarja Halonen. Presque personne n'envisage cette hypothèse.
les ambiguïtés de la campagne électorale
Deux thèmes ont surgi lors de la campagne, dans les dernières semaines de l'année 2005 : le thème de la politique étrangère -puisque c'est dans ce domaine que se situent principalement les pouvoirs "constitutionnels" du Président-, avec, en filigrane, la question de l'OTAN ; et celui des limites des pouvoirs du Chef de l'État, lors de la participation de la Finlande à des opérations de maintien de la paix décidées par l¹Union Européenne.
De fait, un "imbroglio" sur les pouvoirs présidentiels survint lorsque le gouvernement, dans les dernières semaines de novembre, soumit au Parlement le projet de loi sur la participation du pays aux opérations de gestion de crises et de maintien de la paix décidées par l'UE. Ce projet stipulait, conformément d'ailleurs aux souhaits de Tarja Halonen partagés par le Premier ministre, que l'engagement des troupes relèverait, en dernier ressort, de la compétence du Chef de l'État, en tant que chef des armées. La majorité de la Commission des Lois, avec des divisions au sein de chaque parti, estima ce projet inconstitutionnel, car, s'agissant d¹une question de "politique européenne", la compétence était celle du gouvernement, et non du Président. M. Vanhanen retira alors le 28 novembre le texte gouvernemental, puis soumit précipitamment au Parlement un projet de loi qui devra être voté par deux Assemblées successives -ce qui demandera deux ans- donnant ou confirmant au Président l'autorité pour engager, en toutes circonstances, les forces armées. Des décisions devant être prises au niveau européen (participation à des "groupements tactiques" européens multinationaux), dès le début de 2007, soit avant l'élection d'une nouvelle Assemblée, le premier Ministre "bricola" une solution transitoire, puis l'affaire parut enterrée.
Sur le plan de la politique étrangère, les débats n'apportèrent pas grand chose. En dehors de MM. Lax et Lahti, qui se prononcèrent très ostensiblement pour l'adhésion à l'OTAN, peu d'idées originales furent émises. Mme Hautala, plaidant pour une limitation des compétences du Chef de l'État, se trouva amenée à reprocher à Tarja Halonen, son excessive prudence sur la question des droits de l'Homme en Russie et sur la Tchétchénie (ce que fit aussi M. Kallis). M. Vanhanen fut contraint de s'aligner, bien souvent sur les positions de Mme Halonen. Toutefois, il regretta les décisions prises il y a quelques années concernant le calendrier de l'abandon des mines anti-personnel et cette "restriction" fut partagée par tous les candidats du centre et de la droite. C'est M. Niinistö qui fit preuve du plus de combativité en matière de politique extérieure. Il défia Matti Vanhanen sur la valeur et la crédibilité des engagements mutuels contenus dans le projet de traité constitutionnel européen, engagements que personne ne semble remettre en cause même après les "non" français et néerlandais ; mais le débat tourna court. Finalement, il proposa un nouveau concept. Lors d'un débat télévisé le 21 décembre et dans diverses déclarations subséquentes, il suggéra que la défense des pays européens soit confiée à une "OTAN plus européenne", les pays membres de l'Union s'en remettant à l'Alliance atlantique pour leur sécurité et l'UE passant avec elle des accords « ad hoc ». La proposition ne fut pas reçue avec un grand enthousiasme et certains y virent même un subterfuge pour s'assurer l'appui des plus "atlantistes" des électeurs conservateurs.
Sur le plan de la politique intérieure et européenne, les candidats, à l'exception de Mme Hautala -favorable à une diminution des prérogatives du Chef de l'État- parurent se féliciter de la situation présente. Des sondages indiquèrent que la majorité des Finlandais allaient dans le même sens, mais estimaient que le Président ne devait pas se désengager complètement sur ce terrain.
La force de Tarja Halonen
Après avoir envisagé les hypothèses "négatives" que peut affronter Mme Halonen, force est néanmoins d'admettre que la Présidente sortante a toutes les chances de l'emporter sinon au premier tour où, en examinant les sondages, il faut tenir compte de la "marge d'erreur", du moins le 29 janvier.
Car il est impensable qu'elle n'attire pas, tôt ou tard, des électeurs qui, dans des scrutins législatifs, voteraient pour le Parti du Centre, le Parti Conservateur et les autres formations "bourgeoises". Dans un sondage effectué entre les 27 et 29 décembre, elle obtenait, dans la perspective du premier tour, 54 % des intentions de vote dont 45 % chez les électeurs de sexe masculin, mais 63 % chez les femmes. Il ressortait également que 17 % des "conservateurs" abandonneraient S. Niinistö pour Tarja Halonen, et que, de leur côté, 15 % des centristes préféreraient cette dernière à Matti Vanhanen.
Outre son prestige de Présidente ayant bien exercé son mandat et effectué un parcours "sans faute", les facteurs qui, en 2000, avaient permis dès le premier tour autour d'elle un rassemblement plus large (un peu plus de 40 % des voix) que l'électorat "de gauche" traditionnel (SDP et VAS, ensemble, se situant autour de 35 %), vont certainement jouer en sa faveur de manière beaucoup plus affirmée.
Car, avec beaucoup de "finesse" et de conviction, Tarja Halonen s'est exprimée, en politique intérieure, sur ses thèmes favoris et rassembleurs: maintien de l'Etat Providence, accent mis sur l'éducation, la formation et la recherche (les meilleurs "atouts" du pays face à la globalisation), condamnation de la violence et de l'intolérance, défense des droits des défavorisés et de la diversité culturelle.
Dans le domaine de la politique étrangère, Traja Halonen a joué un rôle non négligeable sans empiéter, selon elle, sur les compétences du gouvernement. Elle a poursuivi sa politique de déplacements à l'étranger. Elle a assisté à certains sommets européens -mais pas à tous-, avec le Premier ministre qui a, sur les sujets en discussion, présenté en détail et défendu les positions de la Finlande. Mais c'est surtout à propos de la sécurité et de la défense qu'elle a tenu à affirmer sa présence, par exemple sur le problème de la "gestion de crises" mise en place par l'Union européenne et sur la participation, dans ce cadre, de la Finlande aux opérations de maintien de la paix, ainsi que sur la nécessité d'un mandat de l¹ONU pour le lancement de telles opérations, même si, sur ce dernier point, elle a fini par se rallier à un compromis.
Surtout elle estime comme par le passé que la politique de non appartenance à une alliance militaire demeure toujours de circonstance et que rien, dans les circonstances actuelles, ne justifie une adhésion à l'OTAN, mais il faut relever dans ses formulations plus de "souplesse": en cas de nécessité pressante, l'option OTAN reste ouverte car l'OTAN n'est plus ce qu'elle était au temps de la guerre froide et est amenée à multiplier ses liens avec l'Union européenne. De telles affirmations la rapprochent d'ailleurs des positions du ministre des Affaires étrangères E. Tuomioja et, dans une moindre mesure, du Premier ministre Matti Vanhanen. Tout cela sera de plus en plus porté à son crédit.
Les années 2004 et 2005 ont vu les milieux conservateurs, et certains cercles patronaux, exprimer des critiques acerbes à l'égard du Chef de l'État, lorsqu'elle s'est déclarée favorable à un débat international sur le principe d'une taxe particulière, du type taxe Tobin, pour accroître le financement du développement. Il en a été de même quand elle a affirmé que le président devait avoir le dernier mot en matière de participation du pays aux groupements tactiques européens : pour nombre de Conservateurs et certains experts, ces "groupes", qui inspirent des réactions de prudence sinon de méfiance à Mme Halonen, appartenant à la politique de défense "européenne", sont, comme tout ce qui concerne l'UE, de la compétence du gouvernement, et d'abord du Premier ministre. L'attachement très fort -pendant longtemps- de Tarja Halonen au mandat de l'ONU pour le lancement des opérations de gestion de crise, provoquera également des incompréhensions, et de fortes réserves, principalement dans la sphère politique, avant qu'une "solution de compromis" se dessine. Sur ces différentes questions, la Présidente, femme de convictions, a su le moment venu, sans se renier, adapter son attitude pour permettre un large consensus, ses deux adversaires principaux , surtout M. Vanhanen, donnant à l'inverse une image de "flottement".
Ces diverses considérations ont certainement contribué à renforcer l'image de "solidité souriante et à l'écoute de l'opinion" que Madame Halonen conserve à ce jour dans l'opinion, et qui lui permettra peut-être d'être élue dès le 15 janvier. De son côté, Sauli Niinistö, longtemps éloigné de la scène politique, a fait des efforts méritoires et parfois habiles, même s'ils paraissent " sophistiqués " à nombre d'observateurs, par exemple en ce qui concerne la politique de défense, pour arracher, au sprint final, la seconde place. Tout cela devra être vérifié dans la nuit du 15 au 16 janvier à l'issue du premier tour du scrutin.
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